Cassio : étape N°42 – Ma Via Francigena

Étape Cassio sur ma Via Francigena
Étape Cassio sur ma Via Francigena

Dimanche 13 octobre.
Quarante-troisième jour : Rome est à 605 kilomètres.

J’entame ma septième semaine vers Rome. Il est 8 h 45. Je viens de me faire assaillir par un chien, pas énorme, mais avec de belles dents. Dans cette région ils ont tous des chiens et celui-ci était en liberté. Quand je suis passé à côté de ce qu’il doit considérer comme son territoire il a bondi vers moi. Avec mon bâton j’ai réussi à le maintenir à distance de mes mollets qu’il a cessé de convoiter dès que je suis sorti de la zone dont il assure consciencieusement la surveillance, puis il est tranquillement rentré chez lui. Ces rencontres sont toujours un peu stressantes.

Medesano – Paroisse de San Pantaleone
Medesano – Paroisse de San Pantaleone

Ce matin en partant, avant d’aller prendre mon petit déjeuner dans un café, je suis repassé devant l’église que j’avais à peine vue hier soir en arrivant. Il était 7 h 30, elle était ouverte et il y avait de la lumière, je suis entré et, au fond, j’ai vu passer le prêtre qui m’avait accueilli hier soir. Nous avons échangé de loin des signes amicaux.

Cette nuit il n’a pas plu, il fait beau, le ciel est un peu nuageux, mais il fait frais, j’ai gardé ma polaire pour continuer de faire ma nuit au chaud. Hier soir les lits étaient faits et j’aurais pu dormir dans des draps pour le plaisir et pour économiser mon sac de couchage, mais en fait je suis bien dedans, au chaud, et je lui ai donné la préférence en lui adjoignant une grosse couette mise à disposition dans un placard.

Medesano – Monument au Vittorio Veneto
Medesano – Monument au Vittorio Veneto

Aujourd’hui c’est parti pour une trentaine de kilomètres avant d’atteindre Cassio. J’ai adopté un pas tranquille, sachant que sur les dix derniers kilomètres on va s’élever d’environ sept cents mètres, ce coup-ci on aborde vraiment la chaîne des Appenins. Au gîte, un message informait les pèlerins que l’accueil de Sivizzano, au pied de la montée, était complet, ce qui laisse supposer que je ne suis pas le seul sur ce Chemin, et que l’hôtel était fermé. Donc je n’ai pas le choix, il faut aller plus loin. En quittant Medesano j’ai encore rencontré une dame enthousiaste qui m’a lancé un « Buon viaggio », puis les questions habituelles «  d’où venez-vous ? … » et qui a terminé par un « Bon voyage » en français. Un bon départ !

En route !
En route !

À la sortie de Medesano on croise un étrange monument en forme de proue de bateau, plus exactement de cuirassé, le Vittorio Veneto, un navire qui était en activité pendant la seconde guerre mondiale. J’ignore pourquoi ce monument est ici, loin de la mer.

J’ai entouré une des boucles métalliques de ma prothèse avec un mouchoir, c’est beaucoup plus confortable. En ce qui concerne le port du sac le changement est radical, je n’ai plus cette sensation de poids que j’essayais de compenser en serrant au maximum la ceinture ventrale ce qui devait faire pression sur une blessure interne déjà installée et qui a fini par céder. Un cercle vicieux. Désormais je la serre à peine, la prothèse est efficace.

En Chemin
En Chemin

Souvent comme maintenant les gens même de l’autre côté de la rue me lancent un « Buon viaggio ! » qu’ils accompagnent de signes de la main. Et encore plus souvent, comme également maintenant, ce sont des molosses qui m’encouragent. Ici ils sont cinq dans un jardin minuscule !

9 h 15. À la sortie de Felegara il y a un double marquage, un pour aller à droite et un pour aller tout droit qui est celui conseillé par le guide, on va passer au-dessus de l’autoroute.

Au loin Fornovo di Taro
Au loin Fornovo di Taro

Je viens sans doute de trouver la raison de ce double fléchage : le chemin détrempé était coupé par un petit gué où heureusement l’eau n’était pas très profonde et que j’ai pu traverser sans me déchausser, mais qui par forte pluie est peut-être infranchissable.

Sur le chemin surgissent parfois de fortes odeurs de lisier, mais il faut bien que tout ce jambon et ce salami viennent de quelque part.

En Chemin
En Chemin

Un peu plus loin j’arrive à un carrefour en T où un panneau Via Francigena me renvoie en arrière. Me suis-je fourvoyé ? Le GPS de mon téléphone me confirme que je suis bien sur la bonne voie et dans la bonne direction. Je m’engage de quelques mètres au-delà du panneau et là je retrouve bien un balisage dans le bon sens ! Donc un petit malin s’est amusé à tourner la pancarte, j’avais déjà subi la même « blague » à proximité de Compostelle. Je la remets dans le bon sens : quelques minutes de perdues pour rien.

La traversée du Taro
La traversée du Taro

10 h 55, je fais une petite pause sur un banc à Fornovo di Taro près de la rivière. En traversant le pont sur le Taro j’ai dépassé un homme d’à peu près mon âge qui a engagé la conversation et m’a dit, d’après ce que j’ai compris, que sauf si j’avais l’intention d’aller prendre un pot en ville cela ne valait pas la peine de la traverser. À plusieurs reprises il a ajouté que c’était une belle journée pour marcher, et il a bien raison. Bon, il reste huit kilomètres avant d’arriver à Civizzano : en route !

Borne sur la Via Francigena
Borne sur la Via Francigena

Bientôt midi, j’ai suivi les conseils et les indications de l’homme du pont et j’ai évité le centre-ville. Le chemin emprunte ensuite la SP 39 qu’il va suivre jusqu’à Sivizzano. Le long de la route des bornes en béton dans lesquelles des petits pèlerins en terre cuite sont incrustés balisent la Via Francigena. Sur certaines le pèlerin a disparu : il a dû être emporté en guise de souvenir.

Il y a beaucoup de circulation, des motards, des voitures. Quand celles-ci passent à mon niveau elles s’écartent largement et même, il faut le reconnaître, mieux qu’en France, mais dans le cas où deux voitures se croisent il y a celles qui me considèrent comme un obstacle au sens du code de la route et qui ralentissent et même parfois s’arrêtent pour laisser passer l’autre véhicule, et il y a celles qui considèrent que la chaussée leur appartient et qui ne modifient en rien ni leur trajectoire ni leur vitesse, c’est alors à moi de me tasser sur le bas-côté. On ne peut pas dire que ce tronçon soit bucolique.

Sivizzano: accueil pèlerin
Sivizzano : accueil pèlerin

12 h 30 j’entre enfin dans Sivizzano. Je suis accueilli par un pépé qui maintient avec peine deux chiens qui bondissent vers moi en aboyant et qui m’explique qu’ils ne sont pas méchants. La routine.

La ville s’étire en longueur le long de la route et j’ai cru un moment que j’allais devoir me passer de manger, mais mon ange gardien veillait et un bar ouvert m’attendait à côté de l’église où se situe également un beau refuge, celui annoncé comme complet à Medesano.

Sivizzano : un bistrot inoubliable
Sivizzano : un bistrot inoubliable

J’entre dans le bar où je suis le seul client. Je commande un panino à la serveuse qui peu après m’apporte une assiette avec des tranches de pain complet et plein de rondelles de salami. Du fond de l’établissement, sans doute de la cuisine, me parviennent des éclats de voix de ce qui me semble être une dispute entre un homme et une femme, puis ça se calme et j’entends des bruits de fourchettes, ils doivent manger. Alors que je termine mon en-cas la dame, toute souriante, me tend une assiette avec quatre genres de gros raviolis farcis avec des légumes, peut-être des épinards, que j’accepte avec plaisir pensant que c’est un cadeau pour le pèlerin. C’est très bon. Du coup je commande un café en signe de remerciement.

En Chemin
En Chemin

Une fois tout avalé je me dirige vers le comptoir et tends un billet de cinq euros qui d’après mes calculs, devrait couvrir mes consommations. L’homme qui se tient derrière la caisse me fait signe que ce n’est pas assez, j’ajoute un euro en pensant que j’ai peut-être mal calculé, et là ils se mettent tous les deux à s’énerver, à parler ensemble, comme si je comprenais l’italien alors qu’il serait si simple de me montrer un chiffre avec leurs doigts ou de l’écrire sur un bout de papier. Un vrai sketch à la Fernand Raynaud. Ils sont là tous les deux à piailler autour de moi quand, enfin, j’arrive à percevoir le mot « quattro ». Ce n’était donc pas un cadeau ! Je complète la somme à dix euros. C’est de la vente forcée, mais je ne suis pas non plus détroussé, ce n’est pas l’Auberge Rouge, je vais m’en remettre, encouragé par la gentillesse des gens sur mon passage j’ai simplement été naïf, j’avais pensé qu’ils avaient prélevé ça sur leur repas pour faire un geste envers le marcheur. Je saurai désormais qu’il faut toujours se faire préciser si c’est payant ou pas. Une aventure similaire m’était arrivée au Portugal où lors d’un apéritif les tapas se succédaient sur la table sans qu’on les demande, mais à la sortie il avait bien fallu les payer. Pour une fois mon ange gardien aurait pu être plus perspicace.

Cheminements, la série de livres (papier et ebook) relatant mes marches jusqu’à Compostelle est désormais disponible ICI.

Un gué
Un gué

J’ai profité de cette pause pour réserver ma place au refuge de Cassio. En fait le numéro indiqué dans le guide n’est pas correct. La personne que j’ai eue au bout du fil est habituée et m’a gentiment communiqué le bon. Donc ça y est, je suis attendu.

Bientôt 13 h 30, peu après Sivizzano un panneau propose un itinéraire qui longe un ruisseau, mais qu’il faut éviter en cas de crue. Je tente ma chance. Le chemin traverse à plusieurs reprises le lit du torrent, mais heureusement il est pratiquement à sec et tous les gués sont franchissables sans se déchausser. Dans les champs alentours il y a des chasseurs et des troupeaux de moutons.

Bardone : église Santa Maria Assunta.
Bardone : église Santa Maria Assunta.

Je ne sais pas si c’est le stress de l’altercation dans le bar, ou ces fameux raviolis qui me pèsent, mais au démarrage du café je n’avais plus rien dans les jambes. Ce petit passage champêtre m’a redonné du tonus.

On rejoint ensuite une petite route peu fréquentée qui monte jusqu’à Bardone où j’arrive vers 14 h 30. Je prends le temps d’aller voir de plus près la belle église Santa Maria Assunta.

Terenzo : l'église
Terenzo : l’église

15 heures, voici Terenzo, un panneau indique 540 mètres. Je crois me rappeler qu’à Sivizzano il était indiqué 250 mètres. Tout est paisible, la route monte tranquillement, il suffit de prendre son rythme. Les nuages commencent à couvrir les crêtes, je ne sais pas de quoi sera fait demain.

Un peu avant 16 heures, je suis en haut d’un col dont j’ignore le nom. Au loin on devine un village qui devrait être Cassio. Il fait froid. En route j’ai croisé des chasseurs emmitouflés jusqu’aux oreilles alors que je suis en chemisette, mais il ne faut pas que je reste trop longtemps immobile. Leurs chiens virevoltaient à droite, à gauche, mais heureusement ils ne m’ont pas confondu avec du gibier. La vallée d’où je viens est envahie de nuages, mais il y a un peu de ciel bleu au-dessus de celle vers laquelle je me dirige.

Castello di Casola
Castello di Casola

16 h 06 me voilà à Castello di Casola, 749 mètres. Environ trois kilomètres en une heure, ce n’est pas exactement la moyenne que j’avais envisagée, mais ça grimpe. D’après le guide c’est un chemin tracé par le club alpin italien qui est, dit-il, « réservé aux marcheurs aguerris ». Pour le moment je n’y ai pas vu de difficulté particulière.

17 h 04 j’ai rejoint la grand-route je ne devrais plus être loin de Cassio. J’aspirais depuis un moment à retrouver cette route, le chemin est très beau avec des vues sur la vallée, des traversées de pinèdes, mais il faut bien reconnaître que physiquement il est exigeant. On est monté à 900 mètres. À un moment j’ai entendu des bruits de moteur et de portières qui claquaient, me faisant penser que la route était proche, mais, déception, ce n’était que des 4 × 4 de chasseurs garés sur le chemin ! En route des gens ramassaient des poires avec une sorte de panier au bout d’une perche, cela m’a fait saliver, mais ils ne m’en ont pas proposé. Il y a de la brume sur les montagnes, c’est très beau.

Cassio
Cassio

17 h 25, j’entre dans Cassio, on est redescendu à environ 800 mètres. Il ne reste plus qu’à trouver l’auberge et de quoi manger. « SS 62 – Kilomètre 76 », c’est l’adresse. Pas très précis, j’espère que ce n’est pas trop loin. Quelqu’un se présente de l’autre côté de la route. Je lance un « prego » et m’apprête à traverser, mais à son tour il me lance un « al fundo la calla » en pointant la main dans la direction vers laquelle je marche. Visiblement j’ai été repéré. Il ajoute « rosso ». Donc il ne reste plus qu’à trouver une maison rouge.

Un peu plus loin une jeune femme avec des lunettes de soleil, mains dans les poches de son jean, emmitouflée et bien équipée contre le froid, marche au milieu de la chaussée, décontractée, dégageant de la joie de vivre, c’est contagieux et cela me fait sourire, arrivée à mon niveau elle me fait à son tour un grand sourire : petits bonheurs de la vie qui éclipsent les grincheux.

Cassio : le refuge pèlerins
Cassio : le refuge pèlerins

17 h 40 ça y est je suis dans les lieux, l’auberge est effectivement très rouge avec des volets verts, de l’autre côté de la rue il y a un restaurant-pizzeria, je suis sauvé. Le responsable de l’accueil m’attendait, il était venu exprès. Il m’a présenté les lieux et dès qu’on a eu réglé les formalités habituelles, tampon sur la crédentiale, acquittement des seize euros pour l’hébergement, il est reparti chez lui, d’autant plus que je suis le seul pèlerin attendu. Ce sont des bénévoles qui assurent tour à tour ce service d’accueil. Le refuge est très joliment décoré, on s’y sent bien, avec des provisions à disposition, fruits, vin… dont on peut se servir en n’oubliant pas de verser le prix indiqué dans la boîte prévue à cet effet. Bien pratique, mais je vais aller me faire servir en face.

La voie romaine

Avant d’aller manger j’ai fait un petit tour à la découverte de Cassio qui a un petit côté médiéval avec sans doute des origines romaines : on y trouve une ancienne borne milliaire encastrée dans un mur et la rue centrale se nomme « Strada Romea », voie romaine, je suis bien sur la Via Francigena.

Cassio
Cassio

Au restaurant, comme hier, la salle d’abord déserte s’est remplie petit à petit. J’ai commandé des lasagnes au four, mais là encore la portion ne m’a pas parue adaptée aux besoins d’un marcheur et je l’ai complétée par un bifteck, le tour arrosé par un quart de vin blanc. Encore une fois il me tardait d’aller me coucher, il n’y aura pas besoin de me bercer.

Pendant le repas j’ai profité du Wifi du restaurant pour télécharger une méthode pour apprendre l’italien que m’a envoyée Hélène à ma demande. Il ne reste plus qu’à trouver le temps … et le courage pour l’étudier.

Globalement une journée agréable, un peu athlétique, c’est vrai, mais moins monotone que dans les rizières. Demain je vise Pontremoli à un peu plus de 35 kilomètres où il y a un accueil pèlerin au couvent des Capucins. J’espère que les nuages aperçus cet après-midi vont rester sagement accrochés aux crêtes des montagnes.

1189 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 32 aujourd’hui.

Cassio : une auberge vraiment accueillante
Cassio : une auberge vraiment accueillante

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