Bercenay-le-Hayer : étape n°6 – Ma via Francigena

de Sens à Bercenay-le-Hayer
de Sens à Bercenay-le-Hayer

Samedi 7 septembre.
Septième jour : Rome est à 1609 kilomètres.

Un peu avant 9 heures. À ma demande Ramon vient de me déposer à la Chapelle-sur-Oreuse près de l’église Saint-Laurent dont une statue orne le pignon.

Il travaille dans une station d’épuration, et aujourd’hui il est d’astreinte. Après ce détour, il va y faire un passage pour vérifier que tout se passe bien, et surtout il doit rester disponible : c’est automatisé et si une anomalie est détectée un appel téléphonique sera déclenché. Cela peut être à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, et quelquefois, fausse alerte, on se déplace pour rien. Aujourd’hui, avec la pluie il y a des risques de débordements.

J’ai shunté presque 10 km. Le temps est à l’humidité et j’avoue qu’après cette journée de repos à Sens, où il faisait si beau, j’ai eu un peu de mal à me lancer dans la bruine. Pour atténuer une légère culpabilité je me dis que si j’avance bien je pourrai aller à pied jusqu’à chez mes hôtes à Bercenay-le Hayer et qu’ainsi je leur éviterai de venir me chercher puis de me déposer le lendemain matin sur le GR2 du côté de Villeneuve-l’Archevêque. En fait c’est par pur altruisme. Au niveau distance cela devrait se compenser.

Chez Ramon j’ai fait la connaissance de son cousin José. Diplômé en archéologie son créneau a été un des premiers touchés par la crise. Il faisait surtout des fouilles déclenchées par des grands travaux. Venu lui aussi tenter sa chance en France elle a fini par lui sourire après des mois de galère et de déprime, il vient d’être embauché pour participer à des fouilles à Cluny dans le cadre de recherches universitaires. L’ambiance était donc joyeuse, d’autant plus que Ramon est amoureux et que son élue va arriver d’Espagne dans quelques jours : il range l’appartement, il astique sa voiture et fait des projets d’excursions pour lui faire découvrir la France, bref il bourdonne.

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Hier vendredi, ce n’était pas prévu, Ramon a dû retourner à son travail et m’a confié à José qui m’a fait découvrir le centre historique de Sens, notamment la cathédrale Saint-Étienne, une des toutes premières cathédrales gothiques. L’un de ses architectes supposés, Guillaume de Sens, a lancé la reconstruction de la cathédrale de Canterbury détruite par un incendie. Décidément la via Francigena n’est jamais loin. Puis on a fait un petit tour de marché où José a acheté quatre poires à une marchande des quatre saisons. Quand elle les lui a tendues dans leur poche en papier, il a eu l’air surpris et s’est excusé : il voulait dire « quatre poireaux ». Les pièges des langues étrangères ! J’avoue que je n’ai aucune idée du mot espagnol pour dire poireau.

À midi Ramon nous a rejoints. José avait fait la cuisine : crêpes mexicaines, fajitas, farcies au guacamole, salade et blancs de poulet puis, des fois que nous aurions eu encore un peu faim, il nous avait préparé du boudin blanc, c’était la première fois qu’il en cuisinait. Il m’a confié qu’il suivait un régime anticholestérol, je ne sais pas si c’était adapté, mais c’était bon.

L’après-midi, sieste, lecture, farniente, puis Ramon m’a emmené chez Décathlon acheter les chaussettes que je suis en train de tester. Elles ont l’air moins confortables que celles que j’ai perdues. On verra. Ramon, lui, a acheté deux tapis de sol en mousse au cas où avec sa Dulcinée ils seraient obligés de dormir à la belle étoile. Cette perspective romantique doit le faire rêver.

Ensuite retour au centre-ville dans un bistro qui tient lieu de quartier général de tous les Espagnols de Sens. Ramon leur avait signalé notre présence et ils ne tardèrent pas à nous rejoindre. Certains ne faisaient que passer, d’autres s’installaient. Tous échangeaient des nouvelles notamment au niveau de leur recherche d’emploi. Une jeune femme, toute contente, nous annonça qu’elle venait de trouver deux fois deux heures de travail par semaine chez des gens qui avaient adopté un petit enfant de langue espagnole et qui désiraient qu’il garde un contact avec sa langue maternelle. Un bon prétexte pour une nouvelle tournée. Nous sommes rentrés vers 21 heures, il était temps, je commençais à piquer du nez. Ils ont fait des œufs au plat avec du chorizo, et d’excellentes courgettes du jardin de Ramon accompagnées d’une salade de tomate, mais pas de son jardin : cette année, ici, contrairement à Sermaise, elles n’avaient pas donné.

Le GR2 est très mal balisé et je viens à nouveau de chercher mon chemin, encore aujourd’hui il y a quelques marques discrètes, mais avant-hier, rien, heureusement que j’avais une carte sur mon téléphone.

Je croise le petit mémorial d’un avion qui s’est écrasé ici avec tout son équipage pendant la guerre.

L’étape d’avant-hier faisait environ quarante bornes sous le soleil et plus de trente degrés. Heureusement le profil était relativement plat sauf sur la fin. Je ne dirais pas que c’était sans effort, mais je ne suis pas arrivé exténué. Je sais que je peux le faire, en quelque sorte c’est un avantage logistique, mais je ne prends pas forcément un grand plaisir à faire ces grandes étapes, arriver au bout du rouleau, ne pas avoir le temps de se reposer, être à peine capable de tenir une conversation avec mes hôtes.

Couleurs d'automne
Couleurs d’automne

Aujourd’hui j’ai pris un rythme de sénateur. Il n’y a personne, pas un bruit. J’aime ça, marcher tranquillement sans forcer, s’arrêter de temps en temps contempler le paysage. Il est beau, vallonné. L’ocre des champs moissonnés ou déjà labourés rappelle l’Espagne même si ici il est parsemé de vert, avec la légère touche blanchâtre de la craie qui affleure.

À ce rythme il se pourrait que je mette trois mois au lieu des deux prévus. J’ai évoqué ce scénario avec ma femme, Hélène, qui m’a répondu que ce n’était pas un problème, que je devais faire comme je voulais. Je sais bien que ce n’est pas tout à fait vrai, que, trois mois, ça va lui paraître long. Mais elle ne s’inquiète pas, elle me connaît, au bout d’un moment je ne pourrai pas m’empêcher d’accélérer. Déjà en ce moment, si ce matin je manquais de motivation, d’être là, au milieu de la nature, me redonne du tonus.

Mes étapes sont réservées jusqu’à lundi soir. Ce soir je serai à Bercenay-le-Hayer chez Pascale et Marc, des amis d’amis. Demain ce sera dans un monastère au Mesnil-Saint-Lou où, lors de ma réservation, on m’a précisé que les vêpres étaient à 17h30 : j’ai hypocritement répondu que je n’étais pas sûr d’être là à l’heure. Après-demain je serai à Troyes chez Agnès, que j’avais croisée lors d’un trek au Sahara. Il me restera à trouver une étape après Troyes, puis ce sera chez Annette et Laurent, j’aurai rejoint la via Francigena.

La Postolle - Eolienne Bollée
La Postolle – Eolienne Bollée

Par moment je délaisse le GR qui s’amuse à escalader les collines ce qui me permet de traverser les villages, de voir les monuments, les églises, les maisons qui sont de plus en plus souvent en brique. De temps en temps ça gronde et quelques gouttes tombent, mais pas de quoi mettre la cape.

Un peu avant midi, arrêt dans une forêt après Thorigny-sur-Oreuse. En théorie, d’après le trajet prévu, j’aurais dépassé le cent-quatre-vingtième kilomètre, mais en fait j’ai souvent raccourci l’itinéraire du GR, il doit donc y en avoir moins. La forêt est humide, le chemin a été défoncé par de gros engins, il y a des trous d’eau, ce n’est pas l’endroit idéal, mais ça tonne, mieux vaut manger pendant que je suis encore au sec.

Peu après La Postolle où se dresse une antique « éolienne Bollée » érigée en 1898, je bifurque vers l’est, abandonnant le GR2 pour aller rejoindre mes hôtes. Pour finir il n’a pas plu. Je traverse la campagne par un chemin de terre qui se déroule à l’horizon. Cela fait des heures que je n’ai croisé personne à part un tracteur. En route je fais un crochet pour découvrir le Polissoir de Lancy, un gros caillou qui n’a rien de spectaculaire sauf si on se met à imaginer des hommes y venant aiguiser leurs outils il y a plusieurs milliers d’années. Au loin, sur ma gauche, il y a le champignon de vapeur de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine. Je voyage dans la quatrième dimension.

J’arrive chez mes hôtes vers 18 heures. Ils m’ont préparé la chambre de leur fille qui est absente et ce soir un couple de leurs amis sera présent au repas. Un accueil qui s’annonce des plus sympathiques.

194 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 41 aujourd’hui.

Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.

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2 réflexions au sujet de “Bercenay-le-Hayer : étape n°6 – Ma via Francigena”

  1. Belle étape mais on sent, malgré les présences amicales et le boudin blanc à l’espagnole, le poids du temps maussade, de la solitude et de l’effort à fournir pas après pas pour se remettre dans le « bain ». A une prochaine étape plus lumineuse ? Dans tous les cas merci pour ces beaux récits, les liens de découverte et les magnifiques photos.

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    • Merci de me suivre ainsi pas à pas. La suite réserve des surprises pas toujours « lumineuses » au niveau du temps, mais c’est quelques fois sous cette lumière diffuse que se présente l’occasion de faire de belles photos.

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