Dimanche 20 octobre.
Quarante-neuvième jour : Rome est à 372 kilomètres.
Il est 7 h 20, je quitte San Miniato Basso. Aujourd’hui j’attaque ma huitième semaine de marche. Levé à 6 h 30, pour une fois j’ai été à peu près efficace et je n’ai pas réveillé la pèlerine hollandaise. Elle vient de se faire opérer d’un genou et hier soir elle se demandait s’il allait bien supporter ces longues marches. Pour ma part je vise San Giminiano à environ 40 kilomètres, j’ai une heure d’avance par rapport à hier et cela paraît faisable, mais il y a de forts dénivelés et le temps est incertain, le ciel est plombé.
Le début est rude, on monte de 100 mètres en moins de deux kilomètres pour atteindre la partie haute de San Miniato dont la traversée est splendide avec notamment son ancien séminaire à la façade ornée de fresques sur toute sa longueur, mais désert. On y trouve même une place Bonaparte : il est allé partout.
8 h 50, avant Calenzano je me laisse embarquer par des balises rouges et blanches. Ça descend, ça descend, ça me paraît un peu bizarre car cela ne correspond pas au profil du parcours consulté ce matin. Arrivé en bas plus aucun marquage. J’interroge un passant qui, en secouant la tête d’un air entendu, me dit qu’en fait c’était là-haut. Je ne dois pas être le premier à m’être fourvoyé. C’est le problème avec toutes ces marques qui se ressemblent et se superposent, peut-être un ancien itinéraire ou un chemin de randonnée. Je remonte. Un bon quart d’heure de perdu. Le temps est toujours brumeux et à un moment j’ai ressenti quelques gouttes, mais la Toscane est belle même s’il manque cette petite touche de soleil qui rendrait tout magique.
10 h 45, le ciel est toujours très menaçant et je viens de lâcher prise : je ne ferai pas les 40 kilomètres jusqu’à San Giminiano, les côtes sont quand même un obstacle, je risque d’arriver après 20 heures et trouver porte close. Ce soir je dormirai donc probablement à Chianni ou à Gambassi Terme, au-delà il n’y a pas de quoi se loger avant San Giminiano, donc je n’ai pas le choix, ce sera une étape d’au mieux 20 à 25 kilomètres. Du coup je retombe dans le road-book d’Anne, la liste de ses étapes sur la Via Francigena qu’elle m’a communiquée avant mon départ. Difficile d’être original, il faut me plier à la réalité.
10 h 20, je ne vais pas tarder à reprendre la route. J’avais besoin d’un remontant. Je fais une pause en croquant une petite pomme que Yann m’a offerte. Il faut croire que c’est le cadeau de ceux qui quittent le Chemin : Guy m’en avait donné une avant d’abandonner sur la Via de la Plata. J’ai appelé plusieurs fois le refuge de Chianni, mais ça ne répond pas. Je ne sais pas si c’est ce contre-temps ou la longue étape d’hier, mais je manque d’énergie, j’ai un « coup de mou ». Je me serais bien allongé un moment pour récupérer. Bon, allez, en route, pas le moment de flancher d’autant plus que ça sent de plus en plus la pluie.
11 h 40, ce soir ce sera donc Gambassi Terme où j’ai réservé une place dans l’hôtel Pinchiorba proposé par le guide qui indique un prix de 30 euros, on est loin de l’offerta, mais j’ai fini par apprendre qu’à Chianni ils sont fermés. Il y a des jours comme ça, où rien ne fonctionne.
13 h 40, je repars après une pause d’environ trois quarts d’heure. Cela fait cinq heures que je marche depuis ce matin ce qui doit quand même représenter pas mal de kilomètres, mais je n’ai toujours pas traversé de village et du coup il est difficile de se repérer et de savoir où j’en suis. J’avais l’impression de ne pas avancer à mon rythme habituel, mais en consultant la carte sur mon téléphone j’ai constaté que j’avais progressé beaucoup plus que je l’imaginais. Peut-être qu’hier j’ai un peu trop tiré sur mes réserves, d’où cette sensation. Je comptais sur ces petits villages pour me ravitailler, pour remonter mon niveau énergétique, mais rien. Pour compenser, en attendant mieux, j’ai sucé goulûment le miel liquide de ma fiole prévue pour les petits-déjeuners.
C’est dimanche et ce matin j’ai croisé des cavaliers, quelques cyclistes, quelques voitures de chasseurs, d’ailleurs de temps en temps on entend des coups de feu, mais en gros pratiquement personne et un silence presque parfait.
Le ciel est toujours incertain, mais, même sans luminosité, ce chemin est magnifique. En été cela ne doit pas être facile, aucune ombre possible, on avance sur une sorte de crête avec une vallée à droite une vallée à gauche. Sans doute un des plus beaux tronçons que j’ai parcourus.
15 h 45. Depuis un moment j’avais des rêves de pizza quand à Borgoforte je croise, oh joie, un caffè pizzeria ristorante ! J’hésite parce que Gambassi Terme n’est pas si loin, mais puisque c’est là autant en profiter, on ne sait jamais. Malheureusement, vu l’heure, une pizza ce n’est pas possible, le restaurant ce n’est pas possible, il ne reste que des panini. Bon, va pour un panino : le ventre vide tout est délicieux.
16 h 45, après avoir fait un détour par la belle église de Chianni, me voici devant l’hôtel Pinchiorba à Gambassi Terme. En fin de compte il n’aura pas plu et il fait doux, je suis en chemisette. Une affichette sur la porte m’annonce que l’accueil est pour l’instant fermé. J’appelle le numéro indiqué, où on me répond « Je suis là dans 20 minutes ». J’en profite pour consulter mes mails, Hélène aimerait avoir des prévisions sur mon jour d’arrivée. En fait moi aussi car si les prochaines étapes se déroulent comme celle-ci cela risque de fortement contrarier mes objectifs. Je vais étudier la question à tête et jambes reposées.
On peut manger à partir de 19 h 30. En attendant, ablutions et repos. A 19 heures, je suis tiré de ma somnolence par un énorme vacarme sur fond de musique techno. Panique, est-ce que cela va durer toute la nuit, suis-je au-dessus d’un night-club ?
A 19 h 30 je descends pour manger. La salle comprend un bar grand comme un mouchoir de poche autour duquel sont accoudés une dizaine de personnes et d’où émerge une musique tonitruante propre à réveiller toute la ville. Elle est tellement forte que je n’arrive pas à suffisamment me concentrer pour comprendre le menu. Peut-être que cette journée dans un silence presque complet m’a rendu l’ouïe hypersensible. Je demande au patron s’il serait possible de baisser le son, il me répond d’être patient, que de toute façon cela s’arrêtera à 20 heures. Effectivement à 20 heures 10, il faut toujours une petite marge, les décibels chutent, laissant place à une douce musique d’ambiance.
Cheminements, la série de livres (papier et ebook) relatant mes marches jusqu’à Compostelle est désormais disponible ICI.
En arrivant j’avais aperçu la pèlerine hollandaise déjà attablée. Malgré le bruit nous avons réussi à échanger quelques mots. Son genou l’a un peu gênée, mais elle est contente d’y être arrivée et elle reprend confiance, elle compte faire des petites étapes d’une quinzaine de kilomètres. Elle ne m’a pas proposé de me joindre à elle. Peut-être m’en veut-elle ? Hier soir elle avait tâté le terrain pour savoir si on pourrait marcher ensemble, cela devait la rassurer, mais quand je lui avais annoncé que je comptais aller jusqu’à San Giminiano elle n’avait pas insisté. En me retrouvant ici elle a peut-être pensé que je lui avais menti, ou tout simplement a-t-elle envie d’être seule, ce que je comprends fort bien.
Le repas était assez cher, j’en ai eu pour 33 euros, mais c’était bon, surtout après cette journée de carême imposé. Me voilà prêt à attaquer la journée de demain. J’aimerais rattraper le temps perdu, aller jusqu’à Monteriggioni, mais c’est à plus de quarante kilomètres, peut-être est-ce trop ambitieux pour ma forme actuelle. Je déciderai en route, à moins que ce soit elle qui décide pour moi.
1416 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 26 aujourd’hui.
D’autres photos de ma Via Francigena
