San Miniato Basso : étape N° 48 – Ma Via Francigena

Etape San Miniato Basso sur la Via Francigena
Étape à San Miniato Basso sur ma Via Francigena

Samedi 19 octobre.
Quarante-neuvième jour : Rome est à 413 kilomètres
.

Comme prévu, Yann s’est levé très tôt ce matin, il avait préparé ses bagages la veille et je n’ai pratiquement rien entendu. À l’auberge draps et couvertures étaient fournis, mais ayant froid je me suis enfoui dans mon sac de couchage, du coup au bout d’un moment j’ai eu trop chaud. Je ne sais pas si ce sont ces variations thermiques, mais vers 6 h 30 n’arrivant plus à dormir je me suis levé. Contrairement à Yann je n’avais pas anticipé et, pour ne pas réveiller mes cothurnes, j’ai dû sortir petit à petit toutes mes affaires dans le couloir pour m’habiller et boucler mon sac.

L’Auberge de Jeunesse était tout naturellement majoritairement fréquentée par des jeunes, mais il m’a semblé que l’hôtesse à l’accueil traitait les pèlerins, souvent d’un certain âge, avec une particulière bienveillance, surtout qu’en majorité ils ne comprenaient pas grand-chose à la langue de Dante et qu’il lui fallait être patiente. Globalement l’auberge était bien tenue même si Yann m’avait averti qu’une douches était « brisée » et même si l’ongle du pouce de ma main droite est maintenant tout bleu : hier en voulant baisser la lunette des toilettes, le couvercle s’est rabattu brutalement, j’ai eu l’impression qu’il pesait une tonne, heureusement rien de cassé. Pas un incident très glorieux à relater à mon retour.

Je ne sais pas si c’était dû à leur mal au pied et leur incertitude à pouvoir continuer, mais comme dans la fable Le renard et les raisins hier soir, Yann et le Français dénigraient le chemin parcouru : « Jusqu’à Aoste c’était bien, mais ensuite, la traversée des rizières était interminable, la pluie dans les Apennins, la Toscane n’était pas à la hauteur des espérances… », un peu plus ils m’auraient filé le bourdon. Le Français a deux semaines de moins que moi sur la Via Francigena, Yann trois et je me souviens que Carole et Pierre, les Canadiens, à ce stade en avaient aussi plein les bottes. Donc tout est normal, il faut juste passer le cap. Pour Yann c’est trop tard, mais j’espère que le Français y parviendra.

Dans la soirée j’avais envoyé un petit message à Annette et Laurent qui m’avaient hébergé en France pour les tenir au courant de mon avancée et dans sa réponse Annette m’a appris le décès de notre cousine Catherine. Cela m’a fait un choc. Elle était très malade, mais on espère toujours. Sur le coup je me suis demandé si je n’allais pas moi aussi passer une journée sur place pour visiter à fond la ville, histoire de surmonter l’événement.

Dans la cafétéria de l’Auberge de Jeunesse le serveur qui était en train de dresser les tables du petit-déjeuner avait l’air bougon. Comme je restais debout en attendant que ce soit prêt, il a cru que j’étais tendu, que je m’impatientais et m’a lancé « Sit down ! Relax ! ». Il n’avait pas forcément tort, j’étais encore un peu indécis sur ce que j’allais faire de ma journée. Quand j’ai quitté la salle j’avais pris ma décision, je ne me voyais pas rester là à visiter des musées ou des monuments aussi beaux soient-ils, il était préférable de marcher, d’avancer, les endorphines sont une drogue douce anesthésiante. Le serveur lui, passé le coup de feu, s’était amadoué et m’a demandé où je comptais aller, « – San Miniato »,  « – Ouh là là ! Quarante kilomètres ! » Du coup il m’a offert une bouteille d’eau gazeuse. Merci ! Même si c’est un cadeau empoisonné car me voilà avec 500 grammes de plus sur le dos.

7 h 40, je suis dehors, je vais quand même faire un petit tour de ville pour avoir un aperçu des principaux monuments que je n’ai pas eu le temps de voir hier soir.

San Michele - Lucques
San Michele – Lucques

8 h 20, il est temps de prendre la route, l’étape est longue, d’autant plus que j’ai l’impression que depuis que ma hernie s’est déclarée je marche un peu moins vite, mais c’est peut-être suggestif. Dans tout le centre-ville un troc était en train de s’installer sur les places des églises dont celles de San Michele, Santa Maria Forisportam ou San Pietro Somaldi, toutes magnifiques, ainsi que dans les petites ruelles avoisinantes où circulaient des écoliers et des bicyclettes dont l’une, que je n’avais pas entendu arriver tout occupé que j’étais à prendre des photos, avait failli me renverser : c’était un gamin et heureusement l’incident s’était terminé par des sourires. Je suis également repassé devant la place dell’Anfiteatro désertée à cette heure matinale. Le tout dans une ambiance agréable, feutrée.

Porche de l'église San Michele Arcangelo à Capannori
Porche de l’église San Michele Arcangelo à Capannori

Neuf heures, après avoir suivi un moment la grand-route sortant de Lucques, le Chemin emprunte désormais une petite route peu fréquentée. D’après le guide ce sera pratiquement comme ça jusqu’au bout et cela devrait être plat ce qui n’est pas pour me déplaire. Le temps est doux et il fait beau même si quelques nuages s’amoncellent au loin. Une voiture vient de passer avec deux jeunes femmes qui m’ont fait un petit signe, c’est toujours encourageant, même quand le petit signe émane d’une grand-mère ou d’un pépé chenu.

10 h 20 j’entre dans Porcari après avoir traversé une zone industrielle pratiquement déserte pour cause de week-end. Ça se couvre.

En chemin sur la Via Francigena
En chemin sur la Via Francigena

Un peu avant 10 h 30. Je viens de croiser l’Espagnol accompagné d’une dame qu’il m’a présentée comme sa femme. Peut-être qu’à l’auberge les dortoirs n’étaient pas mixtes, car je ne l’ai pas vue hier soir. Ils cassaient la croûte assis sur un muret du bord de la route. Ils comptent aller à Altopascio où ils décideront s’ils continuent. Ils sont à la retraite, ils ont le temps et c’est leur premier jour, donc ils préfèrent ne pas forcer. Hier, dès que l’Espagnol entrait dans le dortoir cela embaumait le salami, peut-être un substitut au chorizo.

En chemin sur la Via Francigena
En chemin sur la Via Francigena

10 h 45 à la sortie de Porcari, dans une rue commerçante très animée, j’apprécie mal la hauteur d’un trottoir et, emporté par le poids du sac, je m’étale. Heureusement, plus de peur que de mal, même pas une écorchure. Plus tard, je m’apercevrai que ma gourde, désormais cabossée, a servi d’amortisseur.

11 h 10 j’entre dans Turchetto où je traverse une zone de grands magasins doublée d’une zone industrielle toutes deux très calmes.

Mariage à Altopascio
Mariage à Altopascio

Arrivé à midi à Altopascio j’en suis reparti à 12 h 30. Une belle ville très vivante, à l’entrée j’ai croisé un mariage puis j’ai traversé un marché où j’en ai profité pour consommer un panino et un coca.

Même si ça ne sert à rien, sauf à me faire plaisir, j’aimerais atteindre San Miniato ce soir pour gagner un jour, faire deux étapes du guide en une seule journée. Il ne faut pas chômer même si c’est quasiment plat, il reste encore environ vingt-trois kilomètres et il ne faudrait pas arriver après la fermeture du refuge.

Ancienne voie romaine sur la Via Francigena
Ancienne voie romaine sur la Via Francigena

13 h 40 je foule l’antique voie de la via Francigena, c’est émouvant même si les pavés inégaux ne sont pas ce qu’il y a de plus agréable pour les pieds et les chevilles. Un cycliste me double et apparemment ce n’est pas beaucoup plus confortable pour lui.

15 h 10 je repars après une petite halte. Le refuge de la Fraternità Misericordia de San Miniato Basso est à environ treize kilomètres et je viens d’y réserver une place. Quand je les ai appelés il y a eu un petit cafouillage, le responsable n’étant pas là on m’a confié son numéro de portable : soit je l’avais mal noté soit ce n’était pas le bon, pas de réponse, heureusement mon guide indiquait un numéro alternatif. Donc c’est réglé, je peux même arriver après 19 heures, je peux prendre mon temps. Je suis en forme même si le sac commence à peser. En fait ce genre de petit défi me dope, le vrai défi va être d’arriver avant la pluie parce que côté ciel ça se gâte, au cas où j’ai mis la cape.

Jour de chasse sur la Via Francigena
Jour de chasse sur la Via Francigena

Avant cette pause le chemin faisait un grand parcours en forêt où souvent la terre était ocre et boueuse. J’entendais des coups de feu par-ci par-là ce qui n’est jamais très rassurant même si on suppose, enfin on espère, que les gens savent qu’il y a des marcheurs qui passent par là, mais une maladresse est toujours possible. J’avais une certaine hâte à en sortir.

En chemin sur la Via Francigena
En chemin sur la Via Francigena

Tout à l’heure j’ai été assailli par un nuage de moucherons ce qui m’a fait penser à Yann : étant souvent le premier à partir le matin, il ouvrait le chemin et devait se frayer un passage à travers toutes les toiles d’araignées et parfois devait aussi affronter des nuages de moucherons en tenant sa respiration par crainte d’en avaler. Il ne percevait pas du tout le côté bucolique de ces événements.

Dans la région des efforts pour la sécurité ont été faits, des pistes piétonnes et cyclistes longent les routes.

Au croisement d’une route, au milieu de nulle part, une dame attendait sur sa petite chaise pliante en faisant des mots fléchés ; je suppose qu’elle n’était pas là par hasard : elle ne m’a pas proposé ses services.

Pont Médicis de Ponte a Cappiano
Pont Médicis de Ponte a Cappiano

15 h 30 passées, je viens de traverser le majestueux Pont Médicis de Ponte a Cappiano, et je longe désormais le canal Usciana où quelques pêcheurs tentent leur chance et prennent le temps de me saluer. De petits jardins bordent le sentier parfois envahi par des poules et dans le lointain une maison toscane entourée de ses cyprès se dresse sur une colline, même sous les nuages c’est magnifique.

À l'intérieur de l'Abbaye San Salvadore à Fucecchio
À l’intérieur de l’Abbaye San Salvadore à Fucecchio

16 h 40 me voici à Fucecchio précédée par une volée d’escalier en brique dont je me serais bien passé. La ville est agréable avec un beau centre historique. Par curiosité j’entre dans une église, celle de l’Abbaye de San Salvatore, des gens y sont en train de décorer le sol de l’allée centrale, peut-être pour un mariage. À la sortie de la ville une fête foraine avec des auto-tamponneuses éveille de vieux souvenirs.

17 h 15, assis sur un banc dans petit parc proche de la route nationale que l’on entend je m’accorde quelques minutes de repos, il resterait six kilomètres c’est-à-dire environ une heure et demie, si je ne craque pas. En route, alors que j’hésitais à une intersection, j’interpelle un homme dans son jardin : « – prego la via Francigena »; il me désigne la direction à prendre et ajoute en rigolant « – Quattro dollars ».

Cheminements, la série de livres (papier et ebook) relatant mes marches jusqu’à Compostelle est désormais disponible ICI.

17 h 30 sur une petite route très peu passante qui longe une rivière, je vois arriver une jeune femme et son bébé dans une poussette, je m’écarte et simultanément elle fait de même pour me laisser passer. On se sourit quand j’arrive à son niveau, elle me demande où je vais, mais apparemment elle ne parle que l’italien donc « – Roma », « – quanto tempo ? » , « – due semaines » elle a compris et m’encourage. Un instant sympathique.

Au loin San Miniato
Au loin San Miniato

18 h 40, je suis arrivé au refuge. En fait c’est un centre de protection civile ce qui explique qu’il est possible d’y arriver tard. À proximité se dresse une église très moderne, toute ronde et lumineuse, un phare dans la nuit qui commence à tomber. En route je me suis un peu égaré et j’ai même, il faut l’avouer, impatient d’arriver, commis une imprudence : à un passage à niveau au rouge j’ai traversé après avoir bien regardé à droite et à gauche… Tout est bien qui finit bien, je suis là, en entier et en forme.

Lors de la réservation on m’avait prévenu que je ne serais pas seul dans le dortoir. Mon binôme est une dame qui, dans un premier temps, refuse de me laisser entrer, puis se laisse convaincre de partager la chambre après l’intervention d’une personne de l’accueil que j’ai appelée à la rescousse. Passé ce moment de méfiance, elle s’avère plutôt avenante. Elle est Hollandaise et elle commence juste son périple sur la Via Francigena dont elle a un guide en italien, mais dont elle ignore pratiquement tout de son fonctionnement comme le montre sa première réaction, et vient de découvrir qu’il lui faudrait une crédentiale. Une aventurière !

Pour demain je n’ai pas encore décidé si je ferai étape à San Gimignano à 40 kilomètres ce qui me tente bien, ou à Gambassi Terme à 25 kilomètres, cela dépendra du temps : le ciel est très, très sombre.

1390 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 41 aujourd’hui.

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