Vers Beaugency sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle

Samedi 22 août,
4e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1684 kilomètres

Beaugency
De Orléans à Beaugency

8h45 je quitte l’hôtel Bannier à Orléans. La chambre était correcte, silencieuse. J’ai pris mon petit déjeuner au bar de l’hôtel. Une affichette précisait que le verre d’eau était facturé 30 centimes ! Quand je pense qu’à Saint-Arnoult ils ont rempli ma gourde gracieusement et avec le sourire, un vrai trésor ! Peut-être qu’ici, dans une grande ville, il y a eu des abus mais il faut reconnaître que ce n’est pas très accueillant. Comme tous les matins j’ai commandé «un grand café noir». Si côté tasse le volume était conforme à mes espérances, côté breuvage : un expresso perdu au fond d’une bassine. A mon air dépité le garçon m’a proposé une dose supplémentaire mais en fait, au goût, je pense qu’il s’est contenté d’ajouter de l’eau : je ne vais pas me plaindre, c’est déjà un beau cadeau au prix où elle est dans cet établissement. Par ailleurs le service ne commençait qu’à partir de 8 h et le rythme n’était pas excessivement frénétique … d’où ce départ tardif. Café léger, ambiance feutrée : c’est samedi, tout a été conçu pour prolonger ma grâce matinée. Dehors il fait grand beau temps, le ciel est bleu immaculé, donc tout va bien.

Aujourd’hui direction Beaugency où j’ai réservé une place en Auberge de Jeunesse, une brèche dans les dépenses somptuaires des derniers jours. Il y a une trentaine de kilomètres à faire mais ils accueillent jusqu’à 23 h donc j’ai tout mon temps. L’auberge est un peu excentrée, le guide indique 2 km et à l’accueil ils m’ont averti : «à une demi-heure du centre-ville». Peut-être que je mangerai en ville avant d’aller prendre ma chambre pour éviter un aller-retour. A voir sur place.

D’Orléans je n’ai pas vu grand-chose hier soir car il faut reconnaître que j’en avais, comme on dit, plein les pattes. Ce matin ça va, peut-être quelques petites raideurs, mais enfin ça va. Par contre j’ai attrapé une ampoule sur la face interne du talon gauche, le changement de chaussette a dû être trop tardif. Elle n’est pas très grosse et avec le pansement elle ne devrait pas poser de problème sauf si elle s’avère être à un point permanent d’affrontement entre mon pied et la chaussure : à suivre.

Je retourne vers la cathédrale pour rejoindre le point de départ du Chemin et visiter un peu la vieille ville. Ensuite ce sera les bords de Loire, je suppose que ce sera agréable, fini ces grands espaces vides.

9h45 à la sortie du pont Georges V  : ça y est, je suis sur le GR3, l’ancien chemin de halage. Entre temps je suis passé à la poste où, sans surprise, il y avait la queue et j’ai renvoyé les cartes concernant mon trajet d’approche d’Auffargis à Artenay.

10h15 je suis toujours dans Orléans et sa banlieue mais sur les bords de la Loire ce qui change tout. Il y a beaucoup de gens qui profitent du beau temps pour marcher ou faire leur jogging. Je viens de discuter un long moment avec un coureur qui s’est arrêté pour me demander si je faisais le Chemin. Chaque fois que j’ai l’occasion de parler je prends mon temps et je profite de l’instant ; ça n’est que mon quatrième jour de voyage mais l’absence d’échange avec mes semblables me pèse déjà, pourtant je suis plutôt catalogué « taiseux ».

Le chemin passe sous le pont de l’Europe, puis celui de l’autoroute après lequel il entre dans la réserve naturelle de Saint-Mesmin. La Loire est survolée par de grandes bandes de canards qui la remontent ; arrivés à un certain point connu d’eux seuls ils font demi-tour dans un ensemble parfait, la redescendent puis recommencent, comme s’ils s’entrainaient. C’est très spectaculaire et donne un sentiment de liberté et d’impatience ; tout compte fait peut-être que moi aussi je suis en train de migrer mais alors où sont passés mes compagnons de voyage ?

12h20 je reprends la route après une petite pause et un bout de chorizo.

Je dois en être au 10éme km, aujourd’hui ça n’avance pas, j’ai adopté un pas de sénateur et je profite du bord de Loire. J’étais assis sur la digue face au fleuve, à l’ombre, un moment très agréable : personne, juste quelques cyclistes, de temps en temps un jogger, dans l’eau un canoë et au loin des cygnes faisant des ronds et des plongeons, tout était paisible.

14h30, j’arrive à Meung-sur-Loire avec la ferme intention de m’offrir une petite bière sans alcool : il reste quand même quelques kilomètres avant l’arrivée et il fait chaud.

Première station au Café-Restaurant à côté des halles : je m’installe mais on vient me dire que l’établissement est fermé alors que les tables sont pleines autour de moi ; ça doit être l’heure de la fermeture mais ils n’ont pas un grand sens commercial.

Deuxième essai au Café du Château  où je commande la boisson fraîche espérée depuis si longtemps, le patron me répond d’un air goguenard qu’il ne connait pas. A voir la tête des clients autour du bar je vois qu’effectivement ici ce produit ne doit pas être facile à écouler. Pas de regret : pas de terrasse, salle minuscule, grosse musique, on n’était sans doute pas fait l’un pour l’autre.

Le pèlerin se doit d’être tenace surtout pour les questions essentielles, sur une grande place une terrasse me tend ses sièges ombragés et je peux enfin y savourer ce breuvage frais. En plus je suis juste devant le château et la collégiale que j’honore, une fois réhydraté, d’une visite succincte.

15h10 je quitte Meung-sur-Loire par une petite route. Je consulte mon guide tout en marchant quand je m’aperçois que je circule à droite et qu’il y a quand même pas mal de circulation. Juste après le passage d’une voiture je décide de me porter à gauche comme il est recommandé aux piétons de le faire : avancer face au trafic. Tout à ma lecture je ne vois pas et n’entends pas une voiture qui arrive très vite derrière moi. Elle pile. Je l’ai échappé belle. Le conducteur, sans doute lui aussi un peu sous le choc, me hurle que je devrais faire attention. Je m’excuse et reconnais mon imprudence. Cet aveu le libère et il se met à m’insulter, il me lance qu’on lui dit qu’il conduit dangereusement mais qu’en fait ce sont les autres … Un hargneux, justicier de la route qui de ses propres dires ne devez pas rouler en bon père de famille. J’essaye de le calmer mais cela l’énerve encore plus, il redémarre en trombe sous la pression des klaxons des voitures qui s’accumulent derrière lui. Le voyage a quand même failli s’arrêter là. Certains diront que cela ne devait pas être mon heure. Tant mieux. Toujours est-il que par la suite je me suis rappelé cet incident à chaque traversée de route et il y en aura beaucoup. Un avertissement sans frais.

Heureusement le chemin quitte rapidement la chaussée. Me voici à nouveau sur un sentier qui longe une petite rivière parallèle à la Loire. Tout d’un coup un serpent traverse le chemin à un mètre devant moi. Même si ce n’est probablement qu’une inoffensive couleuvre et si avec mes chaussures de rando je ne risque rien je n’aime pas beaucoup ce genre de rencontre. Que d’émotions en si peu de temps.

Le récit que vous êtes en train de lire est désormais disponible en livre vous pouvez le découvrir ICI.

16h20 je m’arrête, le dos appuyé contre un arbre à proximité d’un petit étang. Tout est calme. Je suis épuisé, les pieds me rentrent dans les jambes et les jambes dans le corps. Le sac me paraît énorme. Je dois être à seulement 3 km de Beaugency et il me tarde d’arriver. La longue étape d’hier réclame son tribut. Je prends le temps de recharger mes accus, une demi-heure, il fallait bien ça, comme quoi il ne faut pas hésiter à faire une pause même près du but.

17h10 Je suis face à Beaugency à environ 500 m du pont, derrière j’aperçois les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de saint Laurent-des-Eaux. En arrivant le chemin traverse une zone de loisirs sur les bords de Loire (hors-bords, guinguettes, quads, labyrinthe,..) très fréquentée par ce beau week-end. Ce petit air festif accentué par la présence de forains juste à l’entrée de la ville me redonne du tonus pour franchir les derniers mètres pendant que sous le pont des canoës franchissent eux les « rapides ».

Donc ça y est je suis arrivé et je fredonne une chanson de mon enfance, le « carillon de Vendôme » qui pour toujours a donné une sonorité particulière à ces noms Beaugency, Vendôme… bien avant que je comprenne d’ailleurs qu’il s’agisse de villes et qu’elle évoque Jeanne d’Arc.

Mes amis, que reste-t-il
A ce Dauphin si gentil ?
Orléans, Beaugency,
Notre-Dame de Cléry,
Vendôme, Vendôme !

Air « Le carillon de Vendôme »

 Je me dirige vers l’Office de Tourisme pour qu’il m’indique où se trouve précisément l’Auberge de Jeunesse. Au passage j’entre dans l’Abbatiale Notre-Dame où un organiste fait des essais :

Je m’installe un moment pour profiter de la fraîcheur et du concert avant de faire un petit tour de ville : le donjon (ou Tour de César), l’église Saint-Firmin où le carillon joue plusieurs fois par jour mon petit air mais malheureusement pas au moment où je passe.

Près de la Tour de l’Horloge je rencontre mon premier pèlerin ! Il est en « civil », pas de sac à dos, mais en l’apercevant je me suis dit que ça ne pouvait qu’en être un, ou plutôt j’espérais qu’enfin c’en soit un. C’est un Belge de 71 ans, j’apprendrai plus tard qu’il s’appelle Paul. Il arrive à pied de Belgique et compte aller jusqu’à Saint-Jacques. Il clopine bas à cause d’une ampoule qui ne le quitte pas depuis le 3 août ! Mais il s’accroche, il fait des petites étapes et il y va gaillardement. Il vient de prendre sa retraite et il veut faire le point sur sa vie, réfléchir à ce qu’il va désormais en faire. Quand il apprend que j’ai déjà fait le voyage l’année dernière, il est surpris mais me demande si ça m’a changé :

 – Oui, ça m’a changé, je suis sûr que ça m’a changé, mais j’aurais du mal à vous préciser en quoi.

 – Je suis sûr que c’est en bien.

– Honnêtement je n’en sais rien. Surtout je ne sais pas ce que veut dire « en bien ». En bien pour soi peut-être une catastrophe pour les autres, pour l’entourage qui doit s’adapter au « nouveau » bonhomme. Enfin si je recommence c’est quand même que ça doit être dans la bonne direction, ou au moins que ce changement me convient. Je ne suis pas maso contrairement à ce que pensent certains.
Je vais à l’Auberge de Jeunesse, vous y êtes peut-être ?

– Non, j’ai pris une chambre dans un petit hôtel pour ménager mon ampoule, les 2 km hors chemin m’ont refroidi.

– Alors à tout à l’heure en ville, je vais revenir pour manger, ou à plus tard sur le Chemin.

– J’ai fait quelques courses et je vais grignoter dans ma chambre, si on se retrouve, car avec mes pieds je vais sûrement moins vite que vous, ce sera donc sur le Chemin. A bientôt, peut-être.

On se sépare, je serais bien resté à discuter, je suis en manque, mais il avait l’air pressé. J’ai l’impression que le fait que je fasse un deuxième voyage l’a contrarié, comme si cela remettait en cause son propre périple, comme si au bout d’un seul Chemin il n’était plus sûr d’avoir la réponse à son questionnement ?

Il n’est que 18h et contrairement à mon idée du matin je ne vais pas attendre ici l’heure du repas. Au diable les kilomètres (j’espère que sur le Chemin cette expression n’est pas dangereuse ! ) je pars pour l’AJ ; une douche et, si j’ai le temps, un moment de repos allongé seront les bienvenus.

L’accueil est tenu par une étrangère, je pencherais pour Allemande mais je n’en suis pas sûr, elle parle très bien le français mais très doucement et quand même avec un accent et j’ai du mal à la comprendre et elle aussi, l’échange est un peu laborieux, n’est pas mirobolant, ce n’est pas qu’elle ne soit pas aimable mais un peu robotisée, impersonnelle. Sans doute encore mon égo qui en demande trop, peut-être est elle tout simplement fatiguée car à ma grande surprise il y a beaucoup de monde dans la cour, rien à voir avec la fréquentation du GR aujourd’hui.

Dans le petit dortoir de trois lits superposés deux places sont déjà occupées mais il n’y a personne. Après une bonne douche, une petite lessive et un bref instant de repos je repars en ville à la recherche d’un restaurant.

Beaugency est pleine de touristes, tout à l’heure cela ne se voyait pas, mais ils ont dû tous sortir pour s’alimenter. Les restaurants profitent de cette aubaine et attendent le client avec des prix « adaptés ». Dans une pizzeria il y a un menu à 15 euros, ce qui n’est déjà pas bon marché, mais une mention indique « sauf l’été ». J’en trouve un autre à ce tarif mais évidemment il est complet : après avoir fait le tour des possibilités il s’avère que c’était la meilleure offre, je me rabats sur un restaurant tendance « mexicaine » qui propose des plats abordables, mais il faudra que je me passe d’entrée et de dessert : ce n’est pas toujours facile la vie de pèlerin. J’ai une place en terrasse et une fois lu le menu je découvre à la table face à moi un autre client assis sur sa chaise avec un pied dénudé sur une cuisse. Il n’a pas de bras. Il mange avec son pied, en fait il fait tout avec lui : s’essuyer la bouche à l’aide de sa serviette, boire son vin dans un verre à pied, évidemment, payer avec des billets qui sont soigneusement rangés et pliés sous la semelle intérieure de son mocassin … Bien sûr je sais que cela existe, qu’il y a des peintres, des écrivains pour les plus en vue, mais là il est à même pas deux mètres et c’est impressionnant. Je ne veux pas avoir l’air d’un voyeur mais en même temps je ne veux pas détourner le regard, être naturel. De mon point de vue je pense y arriver, du sien je ne sais pas mais il doit être blindé et cela doit faire longtemps qu’il est passé outre le regard des autres sinon il ne serait pas là. Quelle performance ! Il en a fallu de la volonté, des heures et des heures d’apprentissage pour en arriver là, pour surmonter ce handicap et se mêler ainsi à la vie ; peut-être n’avait-il pas le choix s’il voulait « être dans la vie », réussir ou croupir. En comparaison faire le Chemin est vraiment dérisoire et puis on a le choix de ne pas le faire.

Le restaurant est plein et refuse du monde. A côté de moi une table se libère et un couple, à mon avis Hollandais, avec un gros chien s’y installe. Je suis inquiet pour ma tranquillité. Au bout d’un petit moment le monsieur sort une pipe, la totale, et commence à fumer. Catastrophe, le vent est contre moi ! La femme s’en aperçoit et fait un petit signe à l’homme qui éteint immédiatement sa pipe et me fait un petit sourire d’excuse. Depuis qu’il est interdit de fumer à l’intérieur les terrasses sont devenues les fumoirs où les non-fumeurs sont pris en otage, coincés sur leur siège ils n’ont plus qu’à prier pour que le vent leur soit favorable ce qui implique souvent qu’il ne le sera pas pour un autre. C’est la dérive perverse de cette loi : une terrasse n’est-elle pas un lieu public au même titre qu’un quai de gare où pourtant là je pourrai me déplacer si je suis incommodé ? Peut-être que les leçons de courtoisie, de « vivre ensemble », nous viendront du nord. Je l’espère. Le chien était lui aussi bien élevé : il est resté sous la table de ses maîtres, on ne l’a plus vu, pas entendu. Tel chien, tel maître. En partant je les remercie dans un anglais approximatif pour leur cordialité.

20h20 je retourne à l’Auberge de Jeunesse. Demain matin il faudra que je refasse ce chemin en sens inverse pour rejoindre la Loire, au total j’aurai donc fait 4 fois cette portion « hors chemin » soit de 8 à 10 km supplémentaires.

Un peu avant 21h je retrouve la chambrée, mes compagnons sont déjà couchés. Je n’aurais pas eu beaucoup de contact. Le temps que je m’installe je vois qu’ils ne dorment pas et je lance un « Bonne nuit » auquel me répondent deux « Bonjour » hésitants : c’est à ce genre de petit décalage qu’on sent qu’on a à faire à des étrangers. Il fait très chaud, tropical, dans la chambre. Ils ont du prendre une douche dans le cabinet de toilette attenant avant de se coucher. J’espère quand même que je vais arriver à dormir, il faut que je récupère.

Demain direction Blois, à environ 35 kilomètres, sans compter les 2 km depuis l’Auberge. Je n’ai rien réservé. D’après ma documentation il y a plusieurs possibilités d’hébergement en route, j’improviserai en fonction de mon état car c’est vrai qu’aujourd’hui ce fut un peu laborieux. Le petit déjeuner est encore une fois servi à partir de 8 heures, un peu tard pour les marcheurs, cela ne doit pas être le public de cette AJ.

144 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

 

6 réflexions au sujet de “Vers Beaugency sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle”

  1. Re: Beaugency
    Bonjour,
    aujourd’hui, je repart avec vous sur les chemins de Compostelle 2009. Je suis arrivé à Orleans.

    A bientot, au prochain gite .

    Répondre
  2. proposition pour un prochain périple
    Bravo, c’est toujours aussi intéressant. J’ai trouvé un autre itinéraire, moins long, mais plus montagneux, et d’une autre religion : jette un coup d’oeil sur « surlespasdeshuguenots.eu », ça a l’air pas mal, sauf peut-être les traversées des grandes villes. qu’en penses-tu ? A+ Jean
    et c’est nouveau !

    Répondre

Répondre à sophie Annuler la réponse