Vers Blois sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle

Dimanche 23 août,
5e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1654 kilomètres

Blois
De Beaugency à Blois

8h30 je quitte l’Auberge de Jeunesse de Beaugency, le ciel est magnifique.

La nuit fut courte et agitée. L’AJ accueille jusqu’à 23h et à 22h58 un gars a déboulé dans le dortoir, n’a pas hésité à prendre une douche puis s’est installé, comme par hasard, dans le lit juste au dessus du mien. Cette arrivée tardive a quand même eu un avantage : l’air frais de la nuit a envahi la chambre ; du coup je lui ai demandé de laisser la porte ouverte le temps qu’il se prépare et la température est rapidement descendue de quelques degrés. A 5h45 un des occupants est parti, ce que j’aurais également dû faire pour profiter de la fraîcheur matinale mais j’avais bêtement réservé mon petit déjeuner servi uniquement à partir de 8h.

Il faut bien reconnaître qu’hier j’ai ramé comme une bête pour arriver jusqu’ici. Cette nuit j’avais mal aux jambes et peut être que j’ai énervé les autres à me tourner et à me retourner sans arrêt dans mon lit mais ce matin c’est impeccable et je me sens en forme ; du coup je me suis décidé à réserver une place à Blois à environ 36 km, au centre d’hébergement « Ethic étapes » cette fois encore à 2 km hors chemin ; le refuge de l’accueil spirituel en ville était plein et l’Auberge de Jeunesse est elle à 5 km du centre ville, qui dit mieux, très commode pour les gens à pied, on prend les jeunes pour des c… ou alors ils sont tous supposés avoir une voiture !

Au petit-déjeuner le mystère du remplissage de l’AJ a été élucidé : ce sont les membres d’une chorale et leurs familles qui viennent chaque année donner un représentation dans le coin. A part hier soir à l’accueil je n’ai parlé à personne, j’ai à peine vu mes compagnons de chambre et les choristes restent entre eux ; c’est tout à fait impersonnel et je suis très solitaire ; je ne vais pas pleurer, cela fait partie du voyage, mais à la longue c’est assez pénible. Le plus désagréable n’est pas de marcher seul, au contraire ce serait plutôt jouissif, c’est de manger seul le soir, seul au milieu des autres qui ne le sont pas.

9h30 me voilà dans Lestiou. Le chemin empreinte toujours le GR 3 qui, mis à part ce petit détour pour traverser le village, suit en permanence la Loire ce qui est très plaisant si ce n’est le manque constant d’ombre. Avec la chaleur mon emballement du matin s’émiette petit à petit et la distance et encore longue.

Au niveau de la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux je tombe au milieu d’un concours de pêche : contraste des concurrents concentrés sur leur minuscule bouchon face aux énormes tours de refroidissement.

10h10 la centrale est derrière moi, le chemin suit la petite route goudronnée au sommet de la digue. Il y a des joggers, des cyclistes et très rarement une voiture. C’est agréable mais en plein soleil. Je me sens bien ; tout à l’heure j’ai eu un petit coup de pompe mais là c’est reparti, m’être attardé à regarder les pêcheurs m’a permis de récupérer.

12h petite pause au milieu d’un champ le dos appuyé contre une meule. Il fait toujours un temps radieux mais décidément très chaud. Sur cette digue il n’y a rien, pas une ombre. Je vais me reposer un peu. C’est dimanche, je n’étais pas sûr de trouver quelque chose à manger et je n’avais pas envie de faire des détours par les villages, alors ce matin j’ai chapardé trois tranches de pain que j’ai mangées avec le reste du chorizo de plus en plus liquide et une portion de confiture, reste de mon petit-déjeuner.

12h30 je repars, je commençais à cuire, l’ombre de la meule de foin se réduisant comme peau de chagrin. Me revoilà sur la digue, rien devant, rien derrière et le soleil là-haut. Je n’ai pas trop le choix il faut avancer, il fait très très chaud. Je me serais bien assoupi, bon, ce sera pour ce soir. Après chaque arrêt la machine repart bien. Il faudrait quand même que je me résolve à faire des pauses plus fréquentes. C’est la reprise qui est difficile quand on quitte sa petite ombre bien fraîche et qu’il faut se jeter là-dessous, de plus les muscles se sont refroidis, enfin si on peut dire, et il faut relancer le moteur. Mais une fois parti on n’y pense plus.

C’est la sacro-sainte heure du repas il n’y a pratiquement plus personne sur la digue mais je viens de me faire doubler par un groupe de 4 cyclistes et parmi eux une dame me lance « buen camino », c’est idiot mais ça fait plaisir.

La digue continue inexorablement sous le soleil.

14h j’entre dans Suèvres par un petit chemin très agréable qui suit une rivière qui serpente de moulin en moulin. Une femme dans l’eau jusqu’aux genoux arrache des algues qui envahissent le ruisseau, on échange un sourire. Je m’arrête dans un bistrot. Il n’y a que moi et trois copains qui prennent un apéritif tardif ; ils n’en sont sans doute pas à leur premier verre et mettent une joyeuse ambiance. J’attends qu’on vienne me servir. Un des copains commande une nouvelle tournée qui arrive dans la foulée. Je patiente encore quelques minutes, personne ne s’enquière de ce que je désire, je lève le camp. « Eh bien patron, le client s’en va ! » lance un des convives. Trop tard. Un peu plus loin, face à la mairie je m’installe à nouveau, et dans les 30 secondes on vient prendre ma commande : « Un coca et une grande carafe d’eau fraîche, s’il vous plaît » qui me sont servis dans l’instant. Sans doute la chaleur, certains résistent mieux et restent plus réactifs que d’autres.

14h30 je quitte Suèvres, un bien joli village, il reste 13 km à faire, je suis réhydraté.

15h30 je suis à la sortie de Cour-sur-Loire, le chemin rejoint l’eau et redevient caillouteux. En fait depuis la centrale la digue goudronnée suivait à distance le bord du fleuve et on ne voyait plus la Loire ou alors d’assez loin. Le sentier est désormais un peu plus vallonné avec quelques rares arbres sinon toujours le soleil, le soleil. D’un côté du chemin un long mur d’enceinte : je me demande ce qu’il y a derrière.

16h je viens de faire une petite pause d’un quart d’heure dans le renfoncement ombragé d’un grand portail percé dans ce mur interminable. J’ai même été jusqu’à consommer une barre de céréales, mon niveau énergétique est bien bas : j’en ai emporté trois et j’en ramènerai deux, preuve que je n’utilise cette substance que dans les cas de force majeure !

Depuis le départ je n’ai pas vu un seul randonneur c’est-à-dire un homme ou une femme qui marche sur le chemin avec un sac à dos, pèlerin ou pas, dans mon sens ou dans l’autre, rien.

Je suis toujours cette grande propriété. A un moment je vois par dessus le mur un petit bout de toiture : ça a l’air de quelque chose d’imposant. En fait si j’avais un peu mieux consulté le guide j’aurais su qu’il s’agit du château de Ménars.

16h10 après le château, sur la digue, au loin, j’aperçois un marcheur. Peut-être le Belge d’hier soir, si c’est lui il a bien avancé ou il est parti tôt, même si depuis le centre ville il avait déjà 2 km d’avance. Je vais essayer de le rattraper ça va me redonner du tonus.

Donc c’était bien mon Belge qui a bien progressé malgré son ampoule. Il est habillé très couvert, sans doute pour se protéger du soleil. Encore une fois j’essaye de maintenir une conversation mais il n’a pas l’air d’y tenir sous prétexte qu’il va me ralentir. Lui n’a encore rien réservé pour ce soir : un aventurier. Je le quitte, cette petite course poursuite m’a dopé, je me retrouve en pleine forme comme si j’étais prêt à faire encore 20 km. Il ne me faut pas grand chose, c’est tout au moral.

Je viens de croiser une femme sans sac à dos. Elle fait aussi le Chemin, elle vient de Montlhéry et s’arrêtera à Tours. Elle a trouvé une chambre à Blois chez un particulier où elle a déposé ses affaires, elle remonte le sentier pour proposer au Belge de la partager et lui donner éventuellement un coup de main pour finir l’étape. Elle a emporté sa toile de tente mais elle trouve que c’est lourd et je la comprends. Elle me raconte que dans la Beauce, à Angerville et Artenay, à la vue des tarifs des hôtels elle a téléphoné dans les mairies qui lui ont indiqué des chambres chez des particuliers. Une idée à retenir.

18h-10 je suis à Blois à l’entrée du pont Gabriel il fait toujours très beau, très chaud. Il ne me reste plus qu’à trouver mon lit qui est à 2 km d’ici, mes jambes implorent pitié, l’état de grâce est terminé.

Le centre d’hébergement Ethic étapes est en fait un foyer de jeunes travailleurs indiqué comme étant à une demi-heure du pont Gabriel. Je ne sais pas si je me suis trompé de chemin mais au bout d’une demi-heure dans une ville qui n’est pas particulièrement plane j’arrive à un rond point derrière la gare où il était sensé se situer : rien. Je téléphone et on m’explique « maintenant vous continuez tout droit et c’est juste après le deuxième feu rouge ». Devant moi une route s’éloigne dans la campagne et pas le moindre premier feu ; que dire du second. Il doit s’agir d’une demi-heure en voiture ! En plus c’est dimanche et le foyer n’assure aucune restauration et il n’y a aucune possibilité à proximité, il faudra revenir en ville pour manger. Je flanche et je renonce, tant pis pour le budget, ce soir c’est moi qu’il faut économiser. Après m’être assuré d’une autre chambre en ville je me désiste et rebrousse chemin.

20h-20 ça y est je suis enfin dans ma chambre. C’est beaucoup plus cher, à l’hôtel, c’est très simple on peut même dire minable mais quand j’y suis entré j’ai trouvé qu’il faisait une fraîcheur extraordinaire même si un thermomètre indiquait 28°C, qu’est-ce que ça devait être dehors. Bon, positivons, j’ai un lit, un toit, les toilettes sont sur le palier, j’ai une douche dans la chambre et on peut se restaurer à proximité.

Le récit que vous êtes en train de lire est désormais disponible en livre vous pouvez le découvrir ICI.

Avec ces allées et venues j’en suis au moins à 40 bornes. La bête n’en peut plus, mais depuis qu’elle est à l’ombre elle reprend ses esprits. Je m’écroule sur le lit pour savourer l’instant. Mais ce n’est pas tout il faut que je me lave et qu’au minimum je rince mes chaussettes. La douche est étrange, c’est une cabine mais à l’intérieur il y a quand même un rideau dont je comprends l’utilité quand en en sortant la porte me reste dans la main ! Un palace je vous dis. Pour donner une idée, les boutons électriques ont été repeints en même temps que les murs dans le même geste conquérant d’un rouleau qui n’avait pas de temps à perdre à s’occuper de ces petits détails. Le rapport qualité/prix n’est pas au rendez-vous même si c’est le moins cher que j’ai trouvé j’espérais mieux, un minimum.

Il faut quand même que je trouve l’énergie d’aller manger : j’arrive à parcourir les 50 mètres qui me séparent d’une pizzéria, bonne, mais qui comme tout le val de Loire en cette saison pratique des prix « adaptés ». Ils auraient tort de se gêner, c’est bondé.

Demain, Chaumont à 23 km, une distance enfin raisonnable surtout par cette chaleur. J’ai la flemme de réserver. Je verrai demain. Ce soir urgence numéro un : récupérer. Par précaution, en souvenir de mes sauts de carpe de la nuit précédente je me prescris un cachet anti-inflammatoire : il n’y a pas encore de contrôle antidopage sur le Chemin.

180 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

4 réflexions au sujet de “Vers Blois sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle”

    • Bonjour,
      Oui, le Chemin laisse des souvenirs impérissables, des bons et des moins bons, mais ils font tous partie à part egale de « notre Chemin ».
      Buen camino
      Pierre

      Répondre
  1. Re: Blois
    Je fais une pause à Blois. Je reviendrai bientôt!

    J’admire le marcheur pour la deuxième fois et je trouve que le narrateur est encore plus vivant et inspiré qu’avant, pas mal donc!
    plein de bisous avant la prochaine étape

    Répondre

Laisser un commentaire