Jeudi 17 octobre.
Quarante-septième jour : Rome est à 469 kilomètres.
10 heures, je fais une pause à Marina di Massa au bout de la jetée sur laquelle des gens se promènent et des pêcheurs tentent leur chance. Le ciel se couvre un peu, mais il fait beau et doux. Un hélicoptère nous survole. En me retournant vers l’intérieur des terres je crois d’abord, ce qui m’étonne, que les montagnes sont enneigées, mais je comprends que cette impression est due à la blancheur des carrières de marbres de Carrare toutes proches.
C’est la seule journée sur la Via Francigena où nous avons l’occasion de côtoyer la mer. Ce matin Yann et moi avons prévu de nous écarter du tracé officiel et de la longer jusqu’à être au droit de Pietrasanta que nous rejoindrons en improvisant un trajet pour gagner l’accueil pèlerin. En nous dirigeant vers la plage, nous avons croisé plusieurs entrepôts avec d’énormes blocs de marbre. Après avoir atteint le bord de mer nous avons marché un moment sur le sable pour bien profiter de l’évènement, mais il faut reconnaître que c’est vite devenu pénible surtout avec mon genou qui continue à se plaindre, de plus, en allant trop près de l’eau je me suis fait surprendre par une vague et mes chaussures sont trempées.
10 h 20, je repars. Nous nous sommes séparés, Yann est parti devant, il marche vraiment plus vite, et, pris d’une fringale et il lui faut trouver à manger de toute urgence. Après avoir quitté la jetée j’emprunte la contre-allée d’une large avenue qui longe la plage bordée de restaurants, de galeries d’art et de clubs privés. De nombreuses œuvres d’art jalonnent ce parcours, notamment une pièce imposante, du sculpteur Pino Castagna, une évocation des carrières de Carrare, sur la place Bad Kissingen, ville allemande jumelée à Massa, et plus loin une statue, elle aussi monumentale, qui fait penser à une tête de Christ, de l’artiste autrichienne Helga Vockenhuber.
Les accès publics à la mer eux sont rares. Ici le plagiste est roi. Le ciel se couvre progressivement. C’est la fin de la saison, dans les concessions de plage ça s’active, on range, on lave, ça sent la fermeture prochaine. De l’autre côté de l’avenue se dressent des hôtels aux nombres impressionnants d’étoiles qui font face à leur large plage privée. J’espérais trouver une pizzeria, mais ça n’a pas l’air d’être le bon quartier d’autant plus que beaucoup d’établissements donnant sur la plage ont l’air fermés. Beaucoup ont des drapeaux allemands ou anglais, ou annoncent qu’ils parlent ces langues. La circulation est bruyante. L’été tout cela doit être envahi, grouillant de monde, mais en ce moment c’est comme des vacances, une parenthèse sur le Chemin.
12 h 30, j’ai largement dépassé l’endroit où je pensais bifurquer vers le centre de Pietrasanta pour rejoindre mon auberge et toujours rien d’abordable à manger. Je suis face au Ritz, ce n’est pas exactement ce que je recherche. Demi-tour.
13 heures je traverse un grand parc, celui de la Villa Versiliana, avec un beau pont ancien, le pont du Prince, c’est très calme, malheureusement aussi côté possibilités de restauration.
14 h 30, je sors d’une pizzeria ! J’y ai englouti une pizza entière qui, accompagnée d’un coca, est passée comme une lettre à la poste. Alors que j’avais presque terminé, un vieux monsieur a commandé un panino qu’il s’est fait couper en deux, puis il est venu me proposer une de ces moitiés. Je l’ai bien sûr remercié pour sa générosité, mais j’étais vraiment rassasié. La gentillesse des gens est toujours une surprise. À moins qu’il ne m’ait pris pour un indigent. En tout cas ce geste gratuit, ma faim apaisée, le temps de plus en plus beau, je vais prendre le temps de savourer l’instant et me hâter lentement vers l’accueil pèlerin, il est encore tôt.
15 h 30 je suis à la Casa Diocésaine de la Rocca à Pietrasanta qui surplombe la place devant la cathédrale. Il n’y a personne pour m’accueillir, mais un vieux monsieur m’apprend que les sœurs viendront vers seize heures. Si je me fie au linge qui sèche il y a déjà au moins deux pèlerins dont une pèlerine. Il fait très beau. La ville est magnifique. Avant d’arriver ici j’ai pris le temps d’en faire un petit tour, visite du Baptistère, du couvent San Agostino et de la place de la cathédrale parsemée de sculptures modernes. La cathédrale elle-même était fermée. Je me sens de plus en plus en vacances.
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En attendant les sœurs, je laisse mon sac et retourne en ville où je tombe sur Yann qui arrive juste. Nous nous installons à une terrasse et nous offrons, Yann son Coca Zéro et moi une bière. Quand nous remontons à l’auberge, toujours pas de sœurs, mais nous pouvons faire connaissance avec les deux pèlerins déjà présents. Ce sont deux Néo-zélandais que Yann a déjà rencontrés les jours précédents, la femme a un genou très gonflé, mais indolore, sans doute un épanchement de synovie. Arrivés en début d’après-midi ils ont déjà la clé du refuge et peuvent nous ouvrir pour que nous nous installions.
Les sœurs sont passées vers dix-neuf heures et sont restées à peine trois minutes, le temps de tamponner nos crédentiales et d’encaisser le montant de la nuitée, 10 euros. Yann ne les avait pas attendues, il m’avait confié sa crédentiale et était sorti explorer la ville et se restaurer. Pour ma part, par prudence, je suis resté pour me reposer, pour m’allonger, alerté par de petites douleurs dans l’aine droite, il ne faudrait pas qu’elle se sente obligée d’imiter la gauche.
Peu après leur départ je retourne en ville à la recherche de ma pitance. Des éclairages mettent en valeur les monuments et les sculptures de la place centrale. Une ambiance festive, propre à attirer le touriste ce dont les restaurants tiennent compte, leurs tarifs me paraissent astronomiques. De plus je ne sais s’il est trop tôt pour un Italien, mais la plupart sont déserts. Enfin je tombe sur un restaurant asiatique situé au fond d’une cour qui me semble plus raisonnable. J’entre, je suis le seul client. Un peu comme à Aulla je me laisse guider par le serveur.
Au final ce sera très bon, en entrée des sortes de raviolis avec une sauce au jambon, puis du poulet aux olives et enfin en dessert des fruits dont des petites oranges coupées en morceaux, des kumquats je suppose, le tout arrosé par un vin en pichet très honnête. Coût 25 euros. Ils ont peut-être un peu profité de mon ignorance, mais c’est un des meilleurs repas que j’aie consommés sur le Chemin.
Quand je suis rentré à l’auberge les Néo-zélandais étaient couchés et Yann tapotait sur son clavier.
Demain nous devrions tous nous retrouver à Lucca, Lucques en français, à un peu plus de trente kilomètres.
1315 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 22 aujourd’hui.
D’autres photos de ma Via Francigena

















