Mardi 16 octobre.
Quarante-sixième jour : Rome est à 501 kilomètres.
Cette nuit il a plu. On nous avait annoncé un temps plus doux du coup Yann avait laissé ses vêtements sur la terrasse en espérant qu’un peu de vent les sécherait, il les a retrouvés gorgés d’eau.
Levé à 6 h 45 en même temps que Yann, j’étais dehors à 7 h 30 pour aller prendre mon petit-déjeuner dans un bistrot tandis que lui restait déjeuner dans sa chambre. Ça y est, j’ai un an de plus. Pendant que je prenais mon café j’ai reçu plusieurs messages pour célébrer cet évènement. Bien sûr l’un d’eux était d’Hélène. Il y en avait un autre de Patricia qui m’avait accueilli à Langres et qui me demandait combien de kilomètres il me restait à parcourir. En cherchant dans mes papiers pour lui répondre je m’aperçois que je n’ai plus ma crédentiale. Panique ! Je fouille mon sac. Rien. Retour au bercail où heureusement le père Don Giovanni, le prêtre qui m’avait accueilli, était là. Il me confie une clé du refuge. Toujours rien. Nouvelle recherche, plus approfondie, du sac puis des poches du pantalon de ma tenue « civile » d’hier soir : ouf, elle y est. On se calme.
Hier je n’avais pas pu visiter la partie ancienne de l’abbaye San Caprasio pour cause d’office religieux. Ce matin j’y suis retourné avant d’aller déjeuner. C’est émouvant, on y voit les fondements de l’église originelle et la sépulture qui aurait contenu les reliques du saint. Ce soir Yann me racontera qu’il y a acheté une petite statue en terre cuite représentant un pèlerin comme celles qui figurent sur les bornes de la Via Francigena, un petit souvenir à ramener à sa femme. J’avoue que je n’y ai pas pensé, mon cerveau filtre tout ce qui pourrait alourdir mon sac.
Pas tout à fait 9 heures. Après une montée assez raide dans la brume avec des trouées de ciel bleu qui, du moins je l’espère, augurent la venue du beau temps, le chemin est désormais plat.
Depuis deux jours, depuis la fameuse journée de la montée au col de la Cisa, mon genou droit se plaint, pas énormément, mais de façon persistante donc inquiétante.
Avec Yann nous nous sommes donnés rendez-vous à Avenza à une trentaine de kilomètres dans un accueil pèlerin, la paroisse San Pietro, en « offerta ». La mer y sera à seulement deux kilomètres. Une agréable perspective, en espérant qu’il fasse beau.
J’avais hésité un moment. « Est-ce que je réserve ou non ? », « Est-ce que je fais comme Yann ? ». Cela pourrait-être une nouvelle expérience. D’après mes renseignements il y a un hôtel à proximité donc le risque serait limité. Mais je n’ai pas franchi le pas.
Actuellement le chemin est assez large, paisible. Désormais cela descend légèrement ce qui n’est pas forcément bon pour mon genou mais tant pis, je commence à avoir des nausées rien qu’au mot « montée ».
10 h 40, ça n’a pas duré. Il paraît que c’est encore le Club Alpin italien qui a tracé le chemin. Il a dû se défouler, c’est plus adapté à la rando sportive qu’à un chemin de pèlerinage. En haut d’une montée éprouvante, dans la trouée du chemin, j’aperçois des chasseurs dont l’un est en train d’épauler. J’empoigne précipitamment mes bâtons que je cogne l’un sur l’autre pour le prévenir des fois qu’il se retournerait et tirerait dans ma direction. Quand je passe près d’eux ils me sourient. Des gentlemen. Ce n’est pas toujours le cas, il m’est arrivé de me faire invectiver dans des circonstances analogues : j’avais fait fuir le gibier.
Le ciel est parfaitement bleu. Depuis le départ on s’est élevé d’environ 500 mètres et j’ai pris une suée dans la montée, du coup à l’ombre j’ai froid.
Après Ponzano, dans la descente, je me fourvoie. Je demande mon chemin vers Sarzana à un passant qui m’indique d’aller tout droit, mais j’atterris sur la nationale. Il m’a sans doute proposé la route qu’il prend d’habitude en voiture. Avec le GPS de mon téléphone je rectifie le tir, mais j’ai probablement fait trois à quatre kilomètres de trop.
J’entre dans Sarzana vers treize heures, j’ai pris du retard. Après m’être offert une part de pizza au poids et un Schweppes, je traverse la ville sans m’attarder, mais en passant quand même devant les principaux monuments dont l’impressionnante forteresse « Fortezza Firmafede ». Il y règne un petit air de vacances.
Je choisis de prendre la variante par la piste cyclable qui doit me conduire aux ruines de l’amphithéâtre de Luni. Elle suit pendant un long moment une route très passante et bruyante.
17 heures, déception, en octobre les ruines de Luni ne sont ouvertes que jusqu’à 15 h 30. On les aperçoit quand même à travers la grille d’entrée. Cela n’a pas l’air très grand. Après m’avoir demandé si j’étais sur la Via Francigena un gardien m’ouvre une porte qui donne sur une autre rue m’évitant de repartir sur mes pas pour retrouver mon chemin. Ce soir Yann me dira que lui a trouvé l’amphithéâtre grandiose, mais c’était le premier qu’il voyait.
Je suis arrivé vers dix-huit heures à l’auberge de la paroisse de San Pietro d’Avenza où j’ai été accueilli par un homme se présentant comme le « bénévole ». Il parlait bien français et m’a annoncé qu’il y avait déjà un autre Français, c’était Yann. On n’a pas revu les Italiens, ils ont dû s’arrêter en route. Il m’a demandé d’attendre le « vrai » hospitalier qui nous présenterait les lieux. En attendant il nous a parlé de la paroisse, nous racontant qu’à une époque les autres paroisses s’y étaient débarrassées de ce qui les encombrait, notamment de vieilles statues, dont certaines s’étaient révélées être de vrais trésors, des chefs d’œuvres d’artistes célèbres. Quand l’hospitalier est arrivé il a recommencé toute l’histoire en italien que le bénévole traduisait en simplifiant avec un petit air entendu. Sans doute des conflits d’ego entre le titulaire et le remplaçant.
Pour le repas du soir on nous avait indiqué un restaurant avec menu pèlerin. Comme il était un peu tôt, en attendant de pouvoir commander, nous avons profité du Wifi en buvant moi, une bière et Yann, qui ne consomme pas ou très peu d’alcool, un coca. Tout d’un coup un client s’est mis à hurler et à s’agiter ; peu de temps après une sirène a retenti, ce n’était pas la police, mais une ambulance dans laquelle il est monté de son plein gré. Sans doute un problème psychiatrique.
Nous avons passé une excellente soirée, bien méritée, même Yann trouvait que la journée avait été difficile.
Quand il était arrivé à l’auberge on lui avait fait comprendre qu’il aurait dû téléphoner pour prévenir de son arrivée, pourtant nous étions les seuls pèlerins. Alors il m’a demandé de téléphoner pour lui et de réserver nos places de demain à la maison diocésaine de la Rocca à Pietrasanta, à 22 kilomètres. Il fait beau et nous avons décidé de prendre notre temps, de faire un détour pour profiter du bord de mer qu’on ne reverra plus d’ici Rome.
1293 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 32 aujourd’hui.
D’autres photos de ma Via Francigena









