Mardi 10 septembre.
Dixième jour : Rome est à 1521 kilomètres.
Huit heures. Pour m’épargner la traversée de Troyes Agnès m’a déposé à la sortie de la ville, juste après Saint-Parres-aux-Tertres, à l’entrée d’un chemin qui marque le début de l’itinéraire proposé par le GPS de mon téléphone pour rejoindre Amance. D’après mon estimation il devrait rester environ trente-cinq bornes.
Cette nuit il a plu, tout est détrempé, mais actuellement il fait beau avec des nuages en strates blanches. Par contre je viens de me retourner pour faire une photo et derrière ils sont très, très noirs et ça se couvre à grande vitesse. Bon, j’ai ma cape, même percée c’est déjà ça.
Mon ampoule a l’air résorbée. En fait c’est le pansement du type « deuxième peau » qui se roule sur lui-même en fin de journée et me meurtrit. Demain matin je l’enlèverai, désormais la peau sera assez résistante pour supporter la marche et le poids du sac.
La Loge aux Chèvres s’est réveillée hier soir pendant l’apéritif. Ils sont fermés. Pas de regrets, j’ai bien fait de changer mes plans.
Ce matin on s’est levés assez tôt car Agnès avait une réunion à la préfecture de Chalon-sur-Marne et elle devait au préalable passer prendre une collègue. Je l’ai entendue se lever à six heures trente. Pour ma part, allez savoir pourquoi, j’étais réveillé depuis cinq heures trente, peut-être l’excitation de fouler ce soir la via Francigena.
À Thennelières, joli petit village, par curiosité j’interroge Google pour qu’il m’estime la durée pour aller jusqu’à Amance et il m’annonce un jour et plusieurs heures. Je recommence en me disant que c’est parce que j’avais fait une fausse manœuvre : pareil. En fait il m’envoyait du côté de Nancy où il y a un autre Amance ! Et bien sûr l’itinéraire n’est pas vraiment le même. Quelquefois sur une impulsion, une intuition, ou je ne sais quoi, on entreprend une action apparemment sans importance et qui s’avère des plus utiles. Compte tenu du contexte c’est probablement mon ange gardien qui a piqué ma curiosité.
Un panneau « Constructions en Bois » me fait penser à Ramon qui avant mon arrivée avait pris quelques jours de congés pour participer à un stage de construction de maisons en paille. Lui et ses compagnons étaient logés, nourris et apprenaient en construisant une vraie maison sous la direction d’un expert. C’est d’ailleurs comme ça qu’il avait connu sa Dulcinée.
Je traverse le village de Laubressel avec un panachage de maisons à colombages et de maisons en briques. Certaines sont très anciennes, sur l’une d’elles j’ai vu la date 1830. Elles sont toujours très imposantes, sans doute des fermes. On voit beaucoup de panneaux « Gîte », le cachet colombage doit être vendeur.
À la sortie du village on emprunte une petite route qui vient d’être remise en état, ça sent le goudron, le gravier crisse sous les pas, il est dix heures et il n’y a désormais pratiquement plus une seule voiture. Tout le monde est parti bosser.
Le paysage est vallonné, vert, à l’opposé de celui avant Troyes. Le ciel est un mélange de bleu et de nuages sombres. J’aime bien.
Onze heures, petite pause. Je vais rejoindre la D1 qui me conduira vers les lacs de la forêt d’Orient. Je viens de traverser des bois par le trajet indiqué par le GPS. Heureusement qu’il est là parce que c’est un chemin fréquenté uniquement par les sangliers et quelques rares 4×4 dont je vois les traces, et quand se présente une bifurcation en fourche étroite, sans aucune autre indication il serait difficile de choisir la bonne direction.
Alexandra qui a proposé de m’accueillir à Langres m’a demandé il y a quelques jours si je savais quand j’arriverais. Je lui avais indiqué jeudi en ajoutant prudemment « au plus tôt ». Vu d’aujourd’hui ce sera vendredi, et encore, car cela va m’obliger à faire une étape de plus de quarante kilomètres. J’espère que je pourrais couper, après c’est le week-end et elle risque d’avoir d’autres projets. Dans la forêt il faisait très humide avec des herbes hautes et des ronces qui m’ont mis les chevilles en sang. Mais rien de grave, tout va bien.
Vers midi, à l’entrée de Géraudot où une plage est annoncée je rejoins une large piste cyclable qui doit être celle qui fait le tour des lacs. Le temps est frais, les nuages sont très bas mais pour le moment toujours sec.
À la sortie de Géraudot dont le centre est assez typique la pluie s’est mise à tomber. Hier soir j’ai essayé de réparer ma cape. Au niveau du cou où sont les fuites j’ai collé une bande d’Albuplast que j’avais dans ma pharmacie, mais comme c’est aéré ça ne devrait pas arrêter grand-chose, en complément j’ai enroulé ma serviette de toilette autour du cou pour éviter que l’eau me coule dans le dos. On verra bien. Je venais juste de la mettre, quand une voiture s’arrête à mes côtés et me demande si je veux monter. Sympa ! Ça fait chaud au cœur. Je refuse noblement, avec un grand sourire.
Midi et demi, sur la plage de Géraudot, plage où il est interdit de se baigner, mais avec des pédalos, la pluie a cessé, il fait très beau. Je vais casser la croûte.
Amance. J’y étais un peu après dix-sept heures. Je suis devant la mairie et j’attends Annette. En route beaucoup de routes forestières et pas de cartes, celles que j’avais prévues et enregistrées dans mon téléphone étaient pour un itinéraire qui passait au sud des lacs. Tout au GPS, j’ai bien cru que la batterie allait me lâcher, de plus souvent il n’y avait pas de réseau et je devais avancer à l’estime. Enfin ça y est, j’y suis et la journée a finalement été belle. J’ai même croisé un marcassin. Il était tout seul sur le sentier et courrait à ma rencontre. C’était magique, mais aussi très inquiétant, sa mère lui avait sûrement dit de ne pas s’approcher des étrangers et elle pouvait apparaître à tout moment pour faire respecter la consigne, je ne me suis pas attardé. La mairie étant fermée j’ai demandé au restaurant du Relais des Poteries qui lui fait face s’ils voulaient bien tamponner ma crédentiale, ce qu’ils ont fait très aimablement.
En route, j’ai réservé une place pour demain à la Fraternité Saint-Bernard à Clairvaux qui fait accueil pèlerin, j’étais déjà le sixième sur la liste ! On peut arriver à n’importe quelle heure.
J’entre dans un nouveau monde : je suis sur la Via Francigena !
281 kilomètres parcourus depuis chez moi dont 40 aujourd’hui.
Ci-dessous une galerie de photos, d’éventuelles précisions sur des curiosités locales, la navigation vers les étapes suivantes ou précédentes et la possibilité de déposer un commentaire.
ZOOM – En savoir plus sur :
- Thennelières
- Laubressel
- PNR de la forêt d’Orient
- Géraudot
- Amance
- D’après Wikipedia concernant la « Loge aux Chèvres » :
Histoire
La commune se serait appelée La Loge-Mesgrigny avant la Révolution française et aurait conservé, par la suite, le nom révolutionnaire de La Loge-aux-Chèvres.
Je suis enfin sur la via Francigena !