De Torremegia à Aljucen : 33 km

De Torremegia à Aljucen : 33 km

Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle

 

7e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 756 kilomètres
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Torremegia, mercredi 8 septembre

Un peu plus de 8h, je viens de quitter l’auberge de Torremegia. Cette nuit mes jambes étaient douloureuses, raides, et je me suis souvent retourné pour les soulager ; elles se sont heureusement progressivement apaisées me laissant enfin dormir ainsi que, j’imagine, mon voisin du dessous. Ce matin tout est rentré dans l’ordre et l’ampoule est elle aussi en bonne voie de guérison. Malgré un désaccord manifeste entre tous ces chiens qui essayent de m’indiquer la sortie de la ville je finis par retrouver la Via de la Plata en direction de Merida à 16km. Avec son site archéologique d’origine romaine classé au patrimoine de l’Unesco, un peu de tourisme va s’imposer, mais je ne compte pas y dormir, je vise plutôt Aljucen 16 km plus loin.

Les paysages traversés ressemblent à ceux d’hier, vignes et oliviers. Je viens de me tromper et marcher une demi-heure de trop. L’idée de ne faire que 32 km après ces deux derniers jours me rend nonchalant, mais peut-être suis-je un peu trop décontracté, un minimum de vigilance s’impose si je ne veux pas à nouveau avoir à cavaler. Déjà l’eau à l’auberge n’avait plus ce goût infect et celle de ma gourde semble buvable. Est-ce l’eau ou moi qui ai changé ? Attendons la chaleur pour confirmer. Le Camino longe la Nationale et l’autoroute qui capte la majorité du trafic et génère cet éternel bruissement qui accompagne ma progression. C’est comme être dans un tunnel, sur des rails et j’avoue préférer la soit-disant déprime engendrée par la grande ligne droite d’hier, sans bruit, avec des odeurs, une attente.

A la sortie de TorremegiaLe chemin à la sortie de Torremegia
Le Chemin se sépare de la voie romaineLe chemin longe la Nationale

Par endroits le sentier descend dans un creux et traverse une zone humide où doit couler un ruisseau à la saison des pluies. Mano m’a raconté que sur le Camino Norte, suite à de forts orages, il avait dû traverser un guet avec de l’eau jusqu’à la taille peu avant Guernica où il avait trouvé l’auberge close, inondée. Cela pourrait expliquer sa fermeture pour cause de remise en peinture quand nous y sommes passés avec Christian à l’automne 2009. Des récits qui se recoupent à travers le temps et l’espace pour tisser l’histoire du Chemin.

10h40 le chemin s’est éloigné de l’autoroute dont on entend encore un léger ronronnement, et désormais on traverse les vignes. A l’ombre d’un tracteur et de sa remorque pleine, des vendangeurs font une pause casse-croûte. Et encore des oliviers. C’est à la fois toujours semblable mais toujours changeant. La vigne verte, le chemin ocre, le ciel bleu où des stratus blancs s’effilochent. Le guide parle également de la présence d’amandiers dans la région, je ne crois pas en avoir vu, à moins que de loin avec mes immenses connaissances arboricoles, je les aie confondus avec des oliviers. Un lapin déboule et court devant moi avec son petit derrière blanc qui s’envole. Est-ce la pluie d’hier, la montée vers le nord ou un début d’acclimatation ? Mais il me semble qu’il fait moins chaud que les jours précédents.

Le chemin suit parfois la NationaleAu loin Merida

11h30, j’arrive en vue de Merida par une route en terre assez large sans grand intérêt. Un puissant « Buen Camino ! » m’extrait de mes pensées. C’est un des pèlerins rencontrés hier soir, un Espagnol. Assis sur un muret il prend des notes dans un carnet ; je ne l’avais pas remarqué malgré un magnifique Tshirt bouton d’or. Bientôt ce sont les berges du Rio Guadiana  qui pour le moment n’ont rien de bucolique avec, comme souvent aux abords des villes, un petit air de décharge à ciel ouvert. On entre dans Merida par l’ancien pont romain réservé aux piétons et aux cyclistes. Assis en plein soleil, sur le trottoir, un couple de pèlerins espagnols aperçus également hier soir téléphone. Dans le lointain un bourdon sonne midi. Une petite fille toute contente d’agiter la sonnette de son vélo me double. Il règne un petit air de fête.

Juste à la sortie du pont se dresse l’Alcazaba, une ancienne fortification arabe construite sur des ruines romaines et wisigothes. J’entre pour visiter. Pas moyen de poser mon sac et j’en ai vite plein les jambes. Malgré tout son intérêt je parcours le site au galop parmi des touristes qui eux, guides à la main et dos libre, peuvent savourer l’instant. De plus je commence à avoir faim, tant pis, j’approfondirai plus tard, à une autre occasion. Je repars à la découverte de la ville … et de quoi manger, mais encore une fois tout a l’air fermé. Au centre ville les terrasses ombragées de la belle place d’Espagne me tendent les bras, mais aucune ne sert de sandwich. Pas grave, allons plus loin, faisons confiance au hasard. Sur mon chemin la porte Trajan puis bientôt l’aqueduc de Los Milagros (aqueduc des miracles) et brutalement c’est la sortie de la ville où on entre directement dans le vif du sujet : la campagne pelée, aride, désertique, sans aucun espoir de bar accueillant.

Je m’arrête, là, juste en bordure du désert, au milieu d’un petit groupe d’immeubles, sur un banc à l’ombre. Rien n’est perdu, il me reste du chorizo, je verrai plus loin pour compléter. Des familles passent devant moi en me saluant, un homme sort d’une cage d’escalier et me demande si je veux de l’eau. « Muchas gracias !», cela me touche beaucoup, mais j’en ai suffisamment et il est inutile de le déranger, peut-être serait-il même obligé de remonter chez lui sans ascenseur. Quelques minutes plus tard je vois réapparaître mon bon samaritain avec un petit sac plastique à la main, preuve de la présence d’une « alimentacion » dans le secteur. Je remballe tout précipitamment de peur qu’elle ferme et je remonte la piste des petits sacs. Pour 3.16 € je trouve de quoi faire un festin : une canette de coca fraîche, une salade en boîte et une énorme grappe de raisin. En me voyant prendre la direction d’où il arrivait mon samaritain avait eu un petit air malicieux, il y a des jours où je pourrais croire à la providence, en attendant il y a déjà de fortes présomptions pour croire à la gentillesse.

Le récit de mon Chemin de Compostelle au départ du Puy-en-Velay ainsi que celui par le Camino Norte sont désormais disponibles en livres vous pouvez les découvrir ICI.

14h me voila reparti, la chaleur me tombe dessus dès que j’abandonne mon abri. Malgré son cadre banal cette pause était des plus sympathique. En arrivant je m’y étais précipité, attiré par les arbres et leur promesse d’ombre et maintenant je dois revenir un peu sur mes pas pour récupérer la bonne route. A l’entrée d’un rond-point je trouve une balise avec l’indication EP pour « Embalse de Proserpina », un ancien barrage romain situé sur la Via de la Plata et que j’aimerais visiter, mais aucune indication sur une des voies sortantes. Alors que j’entame mon deuxième tour à la recherche du marquage salvateur j’aperçois de l’autre côté du terre-plein un monsieur âgé qui me fait de grands signes en pointant sa canne vers un des accès. Je m’y engage, je me retourne, il est toujours là et me confirme de loin que je suis dans la bonne direction. Décidément ici les gens serviables abondent.

La digue du barrage de ProserpinaLes rives du lac de Proserpina

15h je fais une pause à côté du lac de Proserpina  juste à côté de la digue de retenue, c’est extrêmement paisible, il y a très peu d’ombre et je me suis réfugié sous un arbuste. Toujours pas de bistrot ; le camping situé un peu avant sur lequel j’avais fantasmé un moment avait l’air abandonné avec ses portes fracturées et tout à l’avenant. Mais mon eau a vraiment meilleur goût et du coup j’en bois plus et avec plaisir. Pour arriver ici on longe une route peu passante en suivant une  piste cyclable d’un beau vert qui, sans être champêtre, était agréable à parcourir. Malgré le soleil qui cogne je n’ai pas encore eu de coup de soleil, peut-être est-ce parce que, marchant vers le nord, les rayons me frappent dans le dos et que le sac protège mes bras. J’avoue que mes jambes commencent à peser, les deux journées précédentes réclament leur tribut. Tout est paisible, il n’y a pas d’autre humain, quelques canards, quelques oiseaux, un peu de vent, des eucalyptus, tout pousse à la sieste, rien ne donne vraiment envie de s’atteler au dix derniers kilomètres. Allez ! Plus vite parti, plus vite arrivé. En route !

 
Calme et volupté

En fait ils étaient tous là ! Après avoir parcouru la digue et longé un moment le lac je suis arrivé près d’une sorte de guinguette avec une ambiance de plage et de kermesse. Cette fois-ci il y a bien des bars mais ce contexte tout bon enfant qu’il soit ne m’attire pas. Je passe mon chemin, je vais me contenter de mon eau. Alors qu’autrefois sur les plages les dames espagnoles étaient souvent rondes, elles semblent être revenues à une taille raisonnable et ce sont désormais les jeunes hommes qui se sont enrobés.

 
Quand passe le pèlerin

Bientôt je retrouve un paysage de chênes lièges et même des cochons noirs, signes de prise d’altitude. Un pèlerin me rejoint d’un bon pas. C’est Ramon, un Espagnol, il parle un peu français et anglais et nous échangeons quelques mots puis il repart de la même allure décidée en me lançant « On se retrouve au prochain pueblo ». Ce village une fois dépassé il réapparaît derrière moi, il pensait être arrivé à Aljucen mais ce n’était qu’El Carrascalejo. Encore 3 km que cette fois nous franchissons ensemble jusqu’à l’auberge où Guy, le français déjà rencontré à plusieurs reprises, est déjà installé.

Le chemin sur une petite route déserteChemin sablonneux
Ramon prend le largeArrivée à Aljucen

Il y a fête votive au village et, comme hier soir, tout est fermé mais l’hospitalero a contacté le restaurant et nous a réservé des places. Guy y a déjà mangé un peu plus tôt et Ramon et moi y sommes reçus quasiment en cachette, à volets clos. Nous sommes les seuls clients, à une table invisible depuis la rue, une dérogation pour les pèlerins. Dans une douce fraîcheur nous nous racontons tout en savourant le repas spécialement concocté à notre attention : copieuse soupe aux lardons, omelette surmontée d’une surprenante portion de « Vache qui rit » et accompagnée d’une énorme platée de salade, oranges, pain, eau et vin. Décidément cette région sait accueillir.

 

 
238 kilomètres parcourus depuis Séville

13 réflexions au sujet de “De Torremegia à Aljucen : 33 km”

  1. je suis née a aljucen en 1962
    Je suis née a aljucen en 1962 je vis en France depuis les années 1965 je suis nostalgique de mon village quand j’etais petite j’y allais chaque été je me souvient de tout comme si c’était hier, d’ailleurs j’y suis retourné il y a 2 ans je n’ai pas retrouvé se que j’y ai laissé.

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  2. Re: De Torremegia à Aljucen : 33 km
    Pour Irène,
    Je te souhaite « Buen Camino » sur la via de la Plata. Si je ne termine pas mon récit avant ton départ (ce qui sera probablement le cas au rythme où je vais : je me sens coupable de tout ce retard accumulé… en tous les cas j’ai l’intention de terminer mais quand … ?) ce sera encore plus l’aventure.
    Justement ce week-end Ramon est venu nous rendre visite et nous nous sommes retrouvés avec grand plaisir. Comme quoi il y a des contacts créés à Aljucen qui perdurent ;o)
    Buen Camino Irène !
    Amitiés

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  3. Via de la Plata
    Bonjour Pierre, comment vas-tu?
    Celà fait un bon moment que tu es coincé à Aljucen. Auras tu le temps de continuer ton récit cet été? De toutes façons, c’est décidé , je pars découvrir ce chemin le 1er Septembre. Je mettrais certainement plus de 28 jours pour atteindre santiago, si j’y arrive ???…
    Amitiés

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  4. Re: De Torremegia à Aljucen : 33 km
    J’ai hâte de voir la suite de cette via de la Plata dont tout le monde parle, et apparemment on sait nourrir ses pèlerins….
    Un repas clandestin comme çà, çà change des lomos frites des autres caminos!
    Amicalement
    Jean-Claude.

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  5. Re: De Torremegia à Aljucen : 33 km
    aujourd’hui mon frère et son fils sont arrives à Salamanca .
    ils sont sur le camino depuis début avril !
    je vais doublement lire et relire ici …

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  6. Re: De Torremegia à Aljucen : 33 km
    On aurait pu se croiser!
    Nous revenons du Maroc en deuch, et avons longé la Via de la Plata
    Les panneaux Santiago étaient partout pour nous narguer…..
    J’attends avec impatience l’année prochaine pour reprendre mon chemin là ou je l’ai laissé, une prothèse de genou m’ayant arrêtée, mais j’ai beaucoup d’espoir et de vous lire me transporte un peu
    Merci de vos récits et de ce partage

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  7. Re: De Torremegia à Aljucen : 33 km
    Super récit d’étape, même si je déteste toujours autant ces paysages… Le big brother a un air de Sarkozy mais ce doit être une hallucination momentanée ! Quant au repas en douce, il a l’air de réjouir au max son pèlerin !!!

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  8. périple via de la Plata
    toujours ébloui par les relations de vos périples et les photos qui les accompagnent. Très occupé ici j’avoue que je ne les ai pas tous lus mais toutes soigneusement classés dans un dossier Alglave
    pour avoir le plaisir de les lire dès que je pourrai.
    avec toutes mes amitiés.
    B. Briquet

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