Sur La via de la Plata, de Séville à Santiago de Compostelle
Castilblanco de los Arroyos, vendredi 3 septembre.
Ce matin, impeccable, pas une courbature, le talon droit ne se plaint plus, comme si j’avais fait sauter un verrou. Hier soir j’ai quand même pris un anti-inflammatoire car si le talon faisait profil bas j’ai cru un moment que la tendinite du Chemin du Puy était revenue me hanter. Mais non, tout va bien. Je m’en tire à bon compte car, il faut l’avouer, c’était une vraie connerie de faire cette longue étape un premier jour par cette chaleur. Des passants me lancent des « Buen camino », je leur souris avec reconnaissance, je suis encore sur le Chemin.L’incident d’hier repose la question « Faut-il voyager seul ou accompagné ?». Contradictoirement c’est dans ce genre de moment que je suis content d’être seul. Bien sûr une compagnie peut être rassurante, sécurisante, mais quand on atteint ses limites le manque d’humilité ou un certain machisme qui veut masquer ses faiblesses pourraient me conduire à pousser encore plus loin. Seul il m’est plus facile, même si ce n’est pas si évident non plus, de me dire stop, j’arrête ici, sans avoir à prévenir qui que ce soit. Il semblerait que j’aie encore des progrès à faire vers la simplicité.
Hier soir quand je suis arrivé je me suis couché pendant un long moment avant de trouver l’énergie pour me laver ainsi qu’un minimum de linge que je suis allé étendre sur la terrasse avec les quelques vêtements victimes de la fuite de ma poche à eau. La nuit le dortoir s’est transformé en fournaise malgré les fenêtres grandes ouvertes et, ce matin, sans surprise, tout était sec sur l’étendoir, pas besoin de soleil, le degré d’humidité de l’air est nul de jour comme de nuit.
De Castilblanco de los Arroyos je n’aurai pas vu grand chose à part l’auberge, un restaurant proposant un « menu pèlerin » et un minuscule supermercado où hier soir j’ai fait quelques provisions car aujourd’hui c’est une « étape en totale autonomie » comme le précise le guide. Assoiffé, j’y avais englouti d’un trait une bouteille glacée de Schweppes sous l’œil amusé de l’épicier qui me l’avait obligeamment décapsulée.
Donc en route vers Almaden de la Plata à une trentaine de kilomètres dont une bonne moitié sur route. A la sortie de la ville je suis poursuivi par des aboiements de chiens. Maison après maison ils se relaient pour me hurler de passer mon chemin. Comment peut-on vivre dans une telle ambiance, sans une seconde de silence ? Cela doit porter sur le ciboulot, enfin le mien n’y résisterait pas, mon niveau de « détachement par rapport à l’environnement », un des objectifs du yoga, étant assez limité. Heureusement la campagne est vite là, parsemée de loin en loin de chênes liège.
En route je rejoins deux Espagnols qui font une pause casse-croûte assis au bord de la route sur la parapet en pierre d’un petit pont. Nous discutons quelques instants, ils m’invitent à les rejoindre, mais il est beaucoup trop tôt pour moi, je n’ai pas du tout faim, de plus le cadre n’est vraiment pas tentant, je préfère avancer, de toute façon on se verra ce soir, si on doit se voir, je suppose qu’ils n’iront pas plus loin qu’Almaden et moi non plus de toute façon. Il fait très beau et les voitures sont heureusement rares.
Le Chemin quitte enfin le goudron en pénétrant dans le parc forestier « El Berrocal » où il continue à l’ombre des chênes liège. J’y rattrape deux pèlerins, un papa et son gamin dans les 13-14 ans que j’avais remarqués hier soir à l’auberge. Je me sens bien. A l’entrée du parc, assis contre une énorme jarre, torse, pieds et jambes dénudés, un des Espagnols croisés tôt ce matin m’avait fait un signe complice. Sans doute m’avait-il dépassé pendant la longue pause que je m’étais octroyée peu avant le parc. Il commençait à faire chaud et j’avais éprouvé une sorte de somnolence que j’avais décidé de satisfaire. Avant de m’assoupir j’avais repris une barre de céréales qui, décidément, était toujours aussi atrocement sucrée, une des prunes achetées la veille n’avait pas rien arrangé : de l’acide à l’état pur !Il est 13h, je viens de faire un stop de plus d’une heure à l’ombre d’un arbre. J’avais envisagé de m’attarder jusqu’à 15h pour laisser passer le gros de la chaleur mais les fourmis ont eu raison de ma patience. Non seulement elles m’ont envahi, passe encore, mais elles ont eu envie de goûter et leurs morsures, sans être extrêmement douloureuses, me faisaient sursauter, me réveillaient. Entre nous ça ne pouvait pas coller. Pour vraiment faire la sieste il faut être seul. Dans le cas contraire cela peut tourner agréablement à d’autres jeux, mais les fourmis quant à elles ne m’ont pas convaincu.
Je n’ai pas grand appétit, j’ai encore des relents de barre de céréales. Le chorizo ne m’a vraiment pas tenté. Mon estomac est acide, il y a bien sûr l’anti-inflammatoire d’hier soir, la prune de tout à l’heure, mais je penche plutôt pour un excès d’acide lactique dû à l’effort d’hier auquel il faut ajouter l’eau chaude et son goût infect. Une tentative avec une lamelle de poivron rouge comme je l’avais découvert et apprécié lors du Camino Norte n’a rien apaisé, au contraire. Seul le pain est bien passé, j’espère qu’il va calmer cet incendie. Bon j’avance un peu et dès que la fatigue se fera sentir je ferai une pause, il faut que je me fasse à cette idée. La chaleur va-t-elle enfin m’apprendre à marcher lentement, à prendre mon temps ? Le silence est royal.
15h, je repars après une nouvelle pause de plus d’une heure, j’ai l’impression de pénétrer dans un four auquel je m’habitue au bout de quelques pas. C’est désertique. Je m’étais fixé d’avancer jusqu’à 14h mais j’ai craqué un peu avant, au pied d’une côte dépourvue de la moindre végétation où je me suis accroché à un arbuste isolé de peur de ne pas en trouver d’autre d’ici longtemps. De temps en temps un peu de vent me permet de prendre un bon rythme mais dès qu’il s’arrête je me traîne. Le père et son fils sont devant moi, eux aussi avancent de pause en pause. Avec tous ces arrêts je ne sais plus trop où j’en suis, pas trop combien il reste à parcourir.
Après vingt interminables minutes pour traverser la ville j’atteins enfin l’auberge de Almaden de la Plata vers 17h. Je suis exténué. En route j’ai dû faire halte encore deux fois. La chaleur n’a pas baissé, il me semble même qu’au contraire elle s’est accumulée.
A savoir que contrairement à ce que vous pensez, la chaleur est à son maximum vers 19h et non pas à 13 ou 14h. C’est très à l’ouest et donc tout tire vers le soir, y compris la chaleur. En France le maximum de chaleur est aux environs de 17h. D’ailleurs au Portugal on change d’heure (une heure de moins). Se rappeler aussi que l’heure d’été c’est deux heurs de plus que l’heure officielle du soleil.
Donc plus on arrive tard, plus il fait chaud.
Personnellement, vieillesse oblige, j’ai pris un taxi jusqu’à l’entrée du parc.
Le problème est que, même si l’étape était plus courte, mon vieux corps n’en voulait plus, je me sentais chaque jour plus mal et ce soir-là, j’ai décidé de rentrer chez moi, la mort dans l’âme.
Je ne peux guère faire plus de 20 Km, c’est une évidence, surtout avec la chaleur.
En 2016, un homme est mort dans la montée finale (Michel Laurent).
Mais j’ai eu un cadeau magnifique : tandis que j’étais à côté de la stèle, j’ai entendu hurler un loup par 3 fois (renseignements pris, il y a bien des loups dans ces endroits).
Voilà, j’y retournerai, c’est sûr mais avec une assistance possible.
C’est beaucoup plus dur que le camino Frances que j’ai fait précédemment (par tranches cjaque année).
Bravo,
Cette année cela devait être encore plus éprouvant.
Buen Camino
Pierre
via de la plata
début mai je prendrais la route pour la via de la plata
si quelqu’un envisage de partir a cette période vous pouvez me joindre
si vous avez des conseils je les acceptes
merci
l’an dernier j’étais sur la via francigena le rêve
Pour Hélène
Au départ il n’y a pas de défi. Je me dis simplement « c’est quelque chose que je peux faire parce que j’ai déjà fait quelque chose de similaire, cette fois c’est juste un petit peu plus long, ou plus compliqué, ou plus haut, ou plus chaud, … ». C’est ce qu’on appelle l’expérience, l’estimation du risque et l’envie de faire mieux, c’est valable pour tout, la marche, la pratique d’un instrument, la mosaïque, …C’est un apprentissage, je me plante, j’apprends, je réessaye … jusqu’à arriver à mon niveau d’incompétence.
Au plaisir
Re: De Castilblanco de los Arroyos à Almaden de la Plata
Mais non je n’envisageais même pas l’idée d’abandonner ! La question est « pourquoi me suis-je mis face à un tel défi ? » et pourquoi vais-je recommencer encore et encore ? Signé quelqu’une qui aime beaucoup les défis, mais largement plus immobiles :o)
Pour Hélène
Pourquoi ? Et bien en fait il n’y a pas de réponse toute faite. D’abord parce qu’on est là, à cet endroit, à ce moment là et qu’il faut bien s’en sortir par un moyen ou par un autre. L’abandon est bien sûr à tout moment envisageable mais si on sent qu’on va pourvoir surmonter ces obstacles pourquoi renoncer. On n’a pas vraiment choisi de se retrouver dans une galère, elle se présente et on essaye de passer outre comme dans la plus parts des situations de la vie. Mais ici en quelque sorte c’est bien plus simple car on arrive à maîtriser la plus part des paramètres. C’est un terrain d’expérimentation de soi où le danger n’est pas absent mais pas non plus inconsidéré.
Alors pourquoi sommes nous là ? Et bien parce qu’il y a un plaisir certain à se sortir de ces difficultés. Le même plaisir qu’à résoudre une énigme, ici c’est peut-être celle de « qui sommes nous vraiment ? « .
C’est juste une tentative de réponse …. je ne me pose pas autant de question : juste mettre un pied devant l’autre … et être prêt à découvrir ce que cela va provoquer.
A bientôt
…
L’admiration que je peux ressentir devant cette lutte contre les éléments et contre soi-même fait se reposer la question du « pourquoi ??? ». Car, même si j’entends de nombreux éléments de réponse, la question de base reste question. Au moins pour une non-pratiquante (mot choisi).