Vers Saintes sur le voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle

Samedi 5 septembre,
17e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1323 kilomètres

Saintes
De Saint-jean-d’Angély à Saintes

Il fait encore nuit, le ciel est plein d’étoiles présage de beau temps. Au-dessus d’une pharmacie un indicateur numérique affiche alternativement 7:01 et 9°. J’ai mon gilet coupe-vent par-dessus ma chemisette, mes bras dénudés râlent. Je suis sorti de l’abbaye par des couloirs et des escaliers étroits, une sorte de passage secret réservé aux résidents qui débouche directement au centre ville, un instant je me suis pris pour d’Artagnan en mission spéciale pour la reine. Un petit chat sur une pelouse me regarde. J’ai très mal dormi, sans doute parce que j’ai eu la bêtise d’accepter le café compris dans le menu pèlerin d’hier soir alors que je n’en prends jamais : cupidité. Réveillé depuis 5h30 je voulais partir tôt mais après un petit déjeuner sommaire (quelques madeleines et deux dosettes de café diluées dans l’eau chaude du lavabo) j’ai attendu la proximité du jour pour quitter l’abbaye : la ville est encore éclairée mais ayant déjà tendance à m’égarer le jour par distraction il est préférable d’éviter l’obscurité dans la campagne.

Aujourd’hui donc direction Saintes à environ 35 km. Je ne voudrais pas y arriver trop tard pour ne pas embarrasser Murielle avec qui j’ai rendez-vous. D’après le guide il n’y a aucun commerce d’ici à Saintes j’ai donc fait quelques emplettes hier : sandwich, prunes et une bonne livre de chasselas dévorée sur place.

Pratiquement personne dans les rues, c’est samedi, une joggeuse me dépasse, un peu plus loin un homme rejoint sa voiture et lui donne une petite tape amicale comme pour lui dire «J’espère que tu as passé une bonne nuit».

Des coqs chantent, une belle lune domine le ciel de plus en plus lumineux, l’éclairage public vient de s’éteindre, le chemin traverse la Boutonne et part à travers champs.

Vers 9h j’arrive à Fenioux dont le clocher s’élève au dessus des vignes et des maïs. Très belle église, malheureusement fermée. Un peu plus loin je prends le temps de monter dans une étrange construction : la lanterne des morts.

Il y a deux jours je croyais avoir trouvé le truc mais, « caramba encore raté », mon sac recommence ses grincements. Je démonte tout et réajuste les sangles ; au passage je constate que la ceinture ventrale est très usée, j’espère qu’elle va tenir le coup jusqu’au bout. Je passe toute l’armature à la vaseline le bruit s’est atténué c’est sûr mais ce n’est pas encore ça et … ça m’énerve ! On se détend, il fait très beau et le chemin traverse pas mal de forêts ce qui est agréable, un bon jour pour marcher. J’ai un bon train, je ne peine pas dans les côtes, on dirait que j’ai retrouvé ma forme malgré une nuit de sommeil assez courte. Toujours aucun autre pèlerin.

J’essaye de faire abstraction de ce bruit qui me poursuit, de rester zen, mais en fait je deviens fou avec ces couinements qui gâchent ma solitude, qui transforment en torture la paix qui m’entoure. J’ai des progrès à faire dans le «lâcher prise». C’est décidé, si je n’arrive pas à réparer j’achète un autre sac quand je serai à Bordeaux … si je ne deviens pas le «pèlerin toqué» d’ici là.

Il n’y a pas de raison que vous n’en profitiez pas : 

11h45 pause casse-croûte à l’ombre d’un arbre pour m’appuyer, auprès d’un lavoir, en contrebas de l’église de Juicq, un petit coin paisible. Mon sac lui aussi reprend des forces.

Midi à Juicq

12h30 je repars. Là je crois que j’ai vraiment trouvé, je l’ai maté ! En fait l’ossature métallique était sortie d’un embout plastique qui évite de percer la toile du sac. J’ai tout remis en place et inondé l’ensemble de vaseline, il n’y a plus un bruit. Alléluia ! Cette intervention m’aura couté au moins une demi-heure mais ça vaut vraiment le coup, je vais économiser quelques neurones. Quand je pense que ce problème perdure depuis l’année dernière, il y a des moments où je suis quelque peu négligeant.

Le chemin est vraiment agréable à travers forêts, prairies, vignes, de temps en temps un peu de goudron mais rien de déplaisant, souvent à l’ombre ce qui commence vraiment à être utile, le tout dans un silence royal que je savoure enfin en compagnie d’un sac désormais muet.

13h30 j’ai dépassé Le Douhet où il y a un immense château en pleine rénovation. Plus loin une belle église très intéressante. Sur toutes les églises de la région on retrouve des sortes d’anges qui volent, ou s’élancent, vers le centre de la voûte des porches.

Le chemin continue de façon agréable, quelque fois très étroit comme s’il était taillé à travers la forêt. Il commence à faire chaud et … mon sac a repris son doux babillage ! Pour le moment il se contente de chuchoter à mes oreilles, mais on se connaît, cela fait un moment que nous nous fréquentons, il ne va pas pouvoir s’empêcher de chanter, sans doute pour se donner du courage !

14h30 je dépasse l’église de Fontcouverte où je suis arrivé en me fiant au soleil, à mon nez et à la carte schématique du guide car je me suis perdu en route. C’est pas ma faute ! Le marquage est assez incertain et le guide sibyllin, une vraie chasse au trésor du genre « 5 pas vers le sud-ouest puis 100 m à gauche sur le chemin blanc, tourner à droite après la deuxième haie » : pas question de rêvasser un moment (pardon, je voulais dire « méditer »), autant dire mission impossible. Saintes n’est plus qu’à 7 km.

Un peu plus loin le chemin longe le golf. Je ne sais pas si là encore ma vigilance m’a fait défaut mais le marquage GR est assez obscur slalomant au milieu des panneaux «Zone réservée aux golfeurs» et j’ai eu du mal à sortir du « green ». Bientôt je découvre Saintes au loin.

Avant d’arriver en ville le sentier longe la Charente au milieu de quelques pêcheurs, au loin le clocher de la cathédrale Saint-Pierre (décidément mon saint patron fait un tabac dans la région). Là encore le marquage est rudimentaire et la hauteur des orties suggère une faible fréquentation mais impossible de se tromper il suffit de suivre le fleuve.

En ville tout change, une fois passée le Charente je me retrouve au milieu de la foule, moitié touristes, moitié citadins faisant leurs courses du samedi, avec toujours cette impression d’être un martien (certains diraient carrément un SDF) au milieu des gens en tenue d’été. J’appelle Murielle pour lui signaler mon arrivée et préciser l’heure du rendez-vous. Elle fait quelques courses, j’ai largement le temps de faire un petit tour de ville avant de la retrouver.

Je coupe par les rues piétonnes pour rejoindre la cathédrale où je m’installe un moment. Puis je me laisse guider par des panneaux piétonniers qui indiquent la direction de Saint-Eutrope. Devant la Mairie je traverse le joyeux désordre d’un mariage. Avant d’arriver je fais un détour par la halte jacquaire qui jouxte l’église. Je vais faire mon curieux. Qui sait ? Il y a peut-être d’autres pèlerins. Deux dames assurent l’accueil et répondent à une personne venue demander des renseignements en vue d’un prochain départ. L’une des dames évoque la nécessité d’avoir une crédentiale. J’entre dans la conversation :

 – Il vous la faut pour pouvoir utiliser les accueils pèlerins, en Espagne c’est obligatoire en France c’est plus souple.

 – Oui, mais surtout vous ne pourrez pas obtenir la Compostella si vous ne l’avez pas.

 – C’est vrai, mais ça c’est juste pour la peau d’âne, ça fait plaisir c’est sûr, ça concrétise et ce serait dommage de s’en priver, mais ce n’est pas si important.

 – Mais bien sûr que si que c’est important.

  – Ce qui compte c’est de l’avoir fait, pour vous, pour toujours, le papier une fois obtenu il est en fait pour les autres, vous n’en aurez pas besoin pour vous souvenir que vous avez été à Saint-Jacques ! Même si cela fait évidemment très plaisir. Mais chacun voit les choses à sa façon et sans doute que je pinaille sur le mot « important ». Dans tous les cas ce qui est sûr c’est qu’il vous faut une crédentiale.

Je sens que je n’ai pas convaincu, je prends congé, je bats en retraite. J’ai dû passer pour un vieux con du genre ancien combattant qui, lui, sait les choses. On ne me demandait rien, juste au plus un conseil pratique et je suis parti à discuter un principe, à essayer de partager une idée. Peut-être que cette idée de Compostella me paraissait importante avant de partir pour mon premier voyage. Il ne me semble pas, mais peut-être ai-je oublié. Bon, on ne se refait pas, mais en fait ce n’est peut-être pas indispensable.

A Saint-Eutrope je retrouve le mariage que j’avais croisé à la Mairie. Je m’inquiète pour Murielle car du coup toutes les places de stationnement sont occupées. Je me mets un peu à l’écart pour qu’elle me voit bien. Va-t-on se reconnaître ? On peut dire que j’ai vu naître Murielle et sa sœur Céline, mais depuis qu’elle a fuit la région parisienne, il y a au moins 10 ans, et fondé sa petite famille nous ne nous sommes plus revus même si des informations circulent via les parents, des amis de plus de 40 ans. Bientôt la voilà. Je la reconnaîs au premier coup d’œil, pour elle c’est plus facile, pas possible de me confondre avec les gens de la noce. Elle est accompagnée de deux de ses enfants qui courent vers moi comme si on s’était quittés la veille. En fait on ne s’est jamais vus, le travail de préparation pour la rencontre du presque clochard a bien était mené.

Toute cette fin de journée sera de même : chaleureuse et émouvante. Je me sens non pas invité mais en famille, une sorte d’oncle, les enfants, et ce soir Stéphane le mari de Murielle, se comportent comme s’ils me connaissaient depuis toujours. Ils habitent dans un village en dehors de la ville et en attendant de nous y rendre ils me proposent une visite guidée de Saintes. Ce sera d’abord la crypte et un petit tour dans Saint-Eutrope juste avant que la noce s’y engouffre, puis les arènes, enfin l’Abbaye aux Dames de l’autre côté de la Charente via la traversée de la ville par des ruelles connues des seuls initiés. Le tout à pied comme il se doit. Le soir Céline me fera la surprise de nous rejoindre. Ils me proposent de rester demain dimanche, ils ont un grand pique-nique avec des amis, je suis bien, je suis tenté mais il vaut mieux que je reprenne la route, pas de ramollissement. Demain ce sera Pons à une vingtaine de km.

En route !
498 kilomètres parcourus depuis Auffargis

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8 réflexions au sujet de “Vers Saintes sur le voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle”

  1. D’accord
    Le petit dialogue à propos de la crédentiale et de la compostela m’a bien fait rire. Je partage ton point de vue et sur l’une et sur l’autre.
    Et quand on ne nous écoute pas : Ultreïa !

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  2. Pour Bernard
    Moi aussi et j’espère, par mes photos, en témoigner mais c’est vrai aussi qu’il y a beaucoup d’autres sujets possibles au cours d’un aussi long voyage.

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  3. Pour Bernard
    Bonjour,
    C’est vrai que cette région est particulièrement riche. Mais tu as un peu raison. Pour cette page j’avais prévu de mettre en bandeau une photo du porche de la cathédrale et au dernier moment j’ai changé pour les arènes (même si dans le fond il y a Saint-Eutrope) pour apporter un peu de paganisme dans ce récit qui reste quand même celui d’un mécréant.

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  4. un grand bonjour
    un grand bonjour des saintais, bravo encore pour ce beau périple et merci d’avoir partagé quelques heures avec nous.
    bonne rédaction.
    Bises
    Murielle et Stéphane

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