Vers Llanes sur le Camino del Norte – Mes Chemins de Compostelle

Mercredi 30 septembre,
42e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 513 kilomètres

Llanes
De Santillana del Mar à Llanes
Luis dans son refuge de San Vicente de la Barquera

J’attaque ma 8ème semaine, il est 7h45. J’ai quitté le gîte il y a un quart d’heure, le jour se lève à peine et après l’éclairage de la ville je me retrouve dans la semi-obscurité de la campagne, il y a un peu de brume, le paysage est très beau, je tente quelques photos, elles auront probablement du « grain » mais cela pourrait contribuer à rendre la magie de l’instant, son caractère éphémère. Grosse frayeur ! Je viens de faire un écart pour éviter une voiture qui ne m’avait probablement pas aperçu dans la pénombre mais qui heureusement ne roulait pas vite ; je sors ma lampe frontale. J’aime bien ces départs matinaux, on ne voit personne mais les bruits environnants me racontent que je ne suis pas le seul et sûrement pas le premier à commencer cette journée : ronronnement d’une trayeuse, chant d’un coq, bruissement de bétail dans les prés …

Cette nuit j’ai dormi d’une traite, mon nez s’est enfin tari, aucune courbature mais mes jambes sont comme vides. Pour une fois j’avais tout préparé la veille et réveillé à 6h30 j’étais prêt en 5 minutes mais je me suis rallongé en attendant l’heure du petit-déjeuner : autour de moi tout le monde continuait à dormir. Quand enfin j’ai rejoint la salle commune, à 7h, Luis était déjà là, seul, (apparemment tous les dortoirs faisaient la grasse matinée) étendu dans son relax rembourré de coussins, regardant la météo à la télévision. Il pleuvait dans le sud mais ici il ferait beau. Une bonne nouvelle, hier soir avec toute cette brume qui envahissait la ville j’avais envisagé un autre scénario. Cette grande salle est un vrai capharnaüm, au fil du temps elle est probablement devenue la pièce à vivre de Luis et Sofia nos hôtes qui ont entièrement intégré l’accueil pèlerin à leur vie. Il faut vraiment avoir la vocation, un vrai sacerdoce, j’en serais incapable. Après avoir pris mon petit-déjeuner sans qu’aucun autre pèlerin ne nous rejoigne, Luis, avec sa longue pratique des brebis égarées m’a fait un petit bout de route pour me mettre dans le droit Chemin.

8h20, premier plantage, un autochtone m’indique la bonne voie. Ça tourne et ça retourne et pour peu que l’on soit un peu dans la lune on est vite désorienté ; emporté par l’élan on suit la direction générale alors que d’un seul coup il aurait fallu tourner à 90 degrés, ce n’est que plus tard, quelques fois bien longtemps plus tard, que l’absence de signe révèlera l’erreur à moins que comme à présent un passant vous tire de vos rêveries pour vous signaler que vous tournez le dos au Camino. Merci à ceux qui ne pratiquent pas l’indifférence.

Suite des petits désagréments, je viens à nouveau de rebrousser chemin pendant un bon quart d’heure : je n’avais pas senti que ma feuille de route m’avait échappé des mains alors que je me mouchais ; coup de chance, je l’ai retrouvée ! Dans le même temps je viens de réaliser que j’ai oublié ma serviette de toilette au pied du lit où elle séchait. Inutile de déballer mon sac pour m’en assurer, je sais qu’elle n’y est pas. Ce matin j’ai fait dans le noir le tour d’inspection habituel et je me souviens très bien que je n’ai pas vérifié le pied du lit. Je suis vraiment trop loin pour faire demi-tour. Ce n’est pas la fin du monde mais en trouver une autre dans ces petits villages, surtout une qui ne pèse pas un kilo, ne va pas être si évident.

En compensation le paysage est splendide avec les montagnes qui se découpent en plusieurs plans, il fait frais, juste bien pour la marche.

Un peu avant 11h me voici à Unquera. Le temps s’est couvert, un indicateur affiche 18°. A côté de moi, et souvent en route, de nombreux programmes immobiliers, petits immeubles comme ici en ville ou ensembles pavillonnaires dans la campagne, clament « Se vende » mais apparemment sans succès. Depuis mon entrée en Espagne j’ai traversé beaucoup de chantiers, travaux routiers ou aménagements urbains, que des panneaux proclament financés par telle ou telle instance pour juguler la crise économique. Contrairement à l’immobilier ils sont eux très actifs et perturbent énormément la circulation mais leur profusion a un côté délirant, tragi-comique, comme si ce cruel manque de moyens était justement l’occasion pour tout refaire à neuf. En ville je fais quelques emplettes, 2 pommes et un demi-pain qui avec le bout de fromage qui me reste constitueront mon repas de midi. Je cherche évidemment une nouvelle serviette mais dans les petites villes d’Espagne supermercado devrait plutôt être traduit par supérette ; parfois réduits à une seule petite pièce, ils vendent principalement des consommables, alimentation, droguerie … mais pas de linge. Pas non plus sur mon chemin de magasin spécialisé dans ce type d’article. Il faudra que je m’essuie avec une chemise ou le Tshirt qui me sert de pyjama.

11h15, en haut d’un raidillon sévère à la sortie de Unquera vers Mustio j’entre en Asturies. Les balises sont un peu différentes : en céramique, coquille jaune sur fond bleu. Le ciel est de plus en plus couvert : à ma gauche la montagne est entièrement dans les nuages à ma droite le paysage est un peu brumeux.

12h-20, peu après Colombres, pause casse-croûte, cela fait déjà plus de 4h que je marche il est raisonnable de s’arrêter.

12h15 je reprends la route, le temps est toujours couvert mais j’ai quand même enlevé mon gilet, il s’imbibe de l’humidité ambiante et j’ai froid dès qu’il y a un peu d’air. On va voir si c’est plus confortable comme ça. Alors que je remballais mes affaires j’ai eu la surprise de voir débouler dans la descente deux pèlerins, un monsieur suivi bientôt d’une dame, qui se sont à peine intéressés à mon cas malgré un retentissant et international « Hello ». Pèlerins taciturnes, ou suis-je tombé en pleine crise de couple ?

16h15 me voilà à Llanes, c’est une grande ville que j’ai traversée sans m’attarder jusqu’à l’auberge, je visiterai plus tard, je vais d’abord me reposer un moment. Je suis le premier dans le dortoir. A la réception j’ai évoqué mon petit problème de serviette et on m’en a obligeamment prêté une. Merci, au moins je vais pouvoir prendre ma douche tranquillement avant de retourner en ville résoudre la question, d’autant plus qu’à cette heure-ci les magasins sont fermés. Pour arriver ici beaucoup, beaucoup, beaucoup de route. Je ne parle pas de goudron, je parle de la grand-route avec la circulation infernale d’une nationale et le stress qu’elle génère. Une autoroute est en cours de construction détruisant et déstructurant tous les chemins aux alentours. Pauvres piétons. Un peu avant Llanes il y avait la possibilité de rejoindre une variante qui longe la côte, après tout ce chahut c’était tentant, mais un coup d’œil sur le profil du parcours m’a suffi, non merci, pas au 40ème kilomètre.

Après ma lessive qui vois-je arriver ? Christian, il est passé par la côte, il paraît que c’était fatigant et qu’en plus la brume masquait le paysage, donc pas de regret. Un peu plus tard ce sont Rodolphe et Norbert qui nous rejoignent. Norbert avec un grand sourire me tend … ma serviette ! En partant il l’a aperçue au pied de mon lit. « Avoir un bon copain … ». C’est la journée des fausses frayeurs, tout à l’heure j’ai cru un moment que mon dictaphone était en panne mais il s’agissait seulement d’un problème de pile mal installée. Ouf !

Dès qu’il est prêt j’entraîne Christian dans une visite de la ville mais rapidement je sens qu’il manque de motivation. Il me propose de m’attendre à la terrasse d’un café sur le port pendant que j’étanche de mon côté ma curiosité. La ville est très intéressante, vieilles maisons, églises, donjon et sur la jetée du port cet amoncellement de cubes de béton multicolores, les « Cubos de Memoria » . Il règne une ambiance agréable, de vacances. Quand je rejoins Christian il me confie qu’il ne m’a pas accompagné parce qu’il a mal aux pieds. Hier il avait le blues, il a eu besoin de marcher et a fait étape à Serdio au niveau de la tour de Astrada plus de 6 km après San Vicente, aujourd’hui le chemin côtier de l’arrivée l’a achevé. Son guide propose de rejoindre Saint-Jacques par le Camino Primitivo, c’est à dire par Oviedo et Lugo. Le mien continue par la côte : Aviles, Ribadeo puis Sobrado dos Monxes à l’intérieur mais avec un détour par Oviedo. Nous nous mettons d’accord pour arrêter ce compagnonnage en yoyo, nous irons ensemble jusqu’à Oviedo où nous suivrons chacun notre choix initial en espérant nous retrouver à Santiago. Nous fêtons cette décision avec une bière accompagnée de tapas aux anchois que Christian découvre avec plaisir.

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Après quelques courses pour le lendemain nous nous mettons en quête d’un menu pèlerin. Notre choix se porte sur un bar qui en propose un à 10 euros. Sur le pas de la porte nous hésitons, l’intérieur a l’air minable, la salle est minuscule, quelques clients sont au bar et les rares tables sont petites et désertes mais c’est vrai qu’il n’est que 20h. Nous cédons aux invites souriantes de la patronne et du patron qui vont se décarcasser tout au long de la soirée pour nous être agréables, pour nous servir un de nos meilleurs repas pris sur le Chemin tant par sa saveur que par sa cordialité. Désolé, je n’ai malheureusement pas noté le nom de ce lieu hospitalier, tout ce que je peux vous dire c’est qu’il est dans le centre, dans une petite rue… c’est vague, je sais, mais cela vaut le coup de chercher d’autant plus que les ruelles sont sympas ; bonne chance ! La plupart des autres pèlerins sont restés à l’auberge à se faire la cuisine et nous les retrouvons encore attablés dans une joyeuse ambiance.

Couché vers 21h, boules, cache-lumière, pas de cachets, je m’endors. Demain, Ribadesella à 30 km. J’espère que les pieds de Christian vont accepter ce contrat.

1329 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

8 réflexions au sujet de “Vers Llanes sur le Camino del Norte – Mes Chemins de Compostelle”

  1. Pour Irène
    D’accord j’aime bien me faire prier mais ce coup ci je crois que je ne peux plus lanterner d’avantage.
    Promis je m’y remets.
    Merci à tous pour votre patience.

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  2. Moi aussi la SUITE!!!
    Celà fait quelques temps que je reviens régulièrement sur ton site et que j’attend patiemment cette suite et fin. Il te manque peut-être quelques encouragements pour continuer? Je sais ce voyage est déjà loin pour toi. Il peut y avoir une certaine lassitude à mettre en mots et en images cette aventure. Pourtant je suis certaine de ne pas être la seule à rester sur ma faim.
    Alors courage Pierre et merci d’avance pour l’écriture des autres épisodes.

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  3. RE : Cubes
    Si on navigue dans les langues on trouve « Pulse para ampliar » en castillan qui a donné ce poétique « Poussez pour étendre », comme une porte à ouvrir sur le large.

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