Vers Güemes sur le Camino del Norte – Mes Chemins de Compostelle

Samedi 26 septembre,
38e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 652 kilomètres

Güemes
De El Pantarron à Güemes

7h50, je quitte l’auberge d’El Pantarron. La nuit a été très calme. J’ai laissé Christian qui va me suivre dans 5 minutes. Norbert est catastrophé de nous voir nous séparer et, ce qui n’arrange pas son moral, il a une belle tendinite avec cet effet « grain de sable » au talon d’Achille qui me rappelle des souvenirs ; je lui ai donné quelques cachets d’anti-inflammatoire en attendant qu’il trouve une pharmacie.

Le bar est fermé, je n’ai que deux madeleines dans le ventre, je m’arrêterai un peu plus loin pour prendre un café, à moins que je m’abstienne pour creuser un peu plus l’écart avec Christian… je verrai. Donc aujourd’hui direction Santonia de l’autre côté de la baie de Laredo que l’on traverse en bac, un petit peu de piment sur le Chemin.

Au départ il faut continuer sur la grand-route qui à cette heure-ci est assez fréquentée. Il fait déjà jour mais je garde ma lampe frontale à la main et je l’agite au passage des voitures ; il ne fait sans doute pas encore assez clair pour qu’elles nous distinguent de loin car sans cette précaution elles ne dévient pas leur trajectoire. Il fait suffisamment doux pour ne pas mettre la polaire, il y a quelques nuages mais cela s’annonce plutôt bien.

A Rioseco on retrouve une route plus paisible et pour profiter de cette tranquillité et de cette solitude retrouvées je m’attarde à prendre des photos, juste pour le plaisir car en fait elles seront probablement inexploitables compte-tenu de la faiblesse de la luminosité. Bientôt je m’aperçois qu’il n’y a plus aucun balisage : je me suis fourvoyé. Je rebrousse chemin à grand peine car à part à cadrer mes photos je n’ai fait attention à rien. Enfin je retrouve les flèches jaunes, en fait, le nez en l’air, je n’en avais pas remarqué une tracée au sol. C’est sûr qu’à deux il y en a toujours un qui est plus attentif que l’autre. Il me faut réapprendre l’autonomie.

Le Chemin fait des détours par toutes les églises mais c’est à se demander pourquoi : elles sont toujours fermées. Après Magdalena il attaque la montagne par une côte assez raide et assez longue qui se termine dans une forêt d’eucalyptus qui me séduit toujours autant : ça sent bon, c’est majestueux, c’est aéré. Il n’y a pas grand monde, il faut dire que c’est samedi. Je croise quelques cavaliers et plusieurs 4×4 avec une petite remorque à l’arrière pour les chiens, sans doute des chasseurs. Dans ce pays les chiens sont souvent en liberté ce qui n’est pas toujours rassurant mais jusqu’à présent il ne s’est rien passé de tragique. C’est aussi un pays où, depuis le départ, il y a beaucoup de chevaux et souvent des ânes.

Le temps est toujours très beau sans que le soleil soit accablant. Je retrouve le plaisir de marcher seul, avancer à mon rythme, m’arrêter pour prendre une photo, enregistrer un son ou un commentaire. Ce n’est pas que je ne pouvais pas le faire avec Christian mais c’était différent, nous discutions beaucoup, un autre plaisir, une autre manière de cheminer, chacune avec ses charmes. C’est une joie mais aussi une nostalgie, c’est un peu ambigu.

Après le plateau le Chemin redescend sur Liendo où j’arrive vers 11h. A l’entrée de la ville, au premier bar, j’aperçois Christian à la terrasse en train de déguster un café et quelques pâtisseries, nous sommes tout aussi surpris l’un que l’autre de nos retrouvailles. Il a dû me doubler ce matin pendant que je m’étais égaré. Je le rejoins avec plaisir et commande aussi de quoi palier les insuffisances du petit-déjeuner. Nous échangeons nos premières impressions de marcheurs solitaires. Lui aussi a apprécié ces instants. « Buen Camino », cette fois c’est moi qui lui laisse un peu d’avance en dégustant ma collation.

12h30 je suis en vue de Laredo. Ce petit village de pêcheurs dont des amis m’avaient parlé pour y avoir passé des vacances il y a une cinquantaine d’années c’est transformé en Copacabana, en ville balnéaire gigantesque. Bientôt j’arpente la promenade qui longe la plage, 6 km à parcourir, je ne suis pas sûr que ce soit moins fastidieux qu’une zone industrielle. Mais il ne faut pas se plaindre, l’aménagement semble réussi : dans l’ordre, de la gauche vers la droite, on trouve des immeubles ou habitations, cette large promenade, une zone herbeuse, des dunes, la plage puis la mer. C’est très aéré et il n’y a pas foule. Je ne dois pas être tout à fait normal, je n’éprouve pas l’envie d’aller me baigner ou même d’aller tâter l’eau, pourtant le temps est splendide, mais être là me suffit et peut-être que ce besoin d’aller de l’avant prime tout.

13h45 j’ai quitté la promenade et arrive au bout de la plage. Je me dirige vers un petit port où je pense trouver le départ du bac vers Santonia mais ce n’est qu’une sorte de marina pour bateaux de plaisance. Des pêcheurs me voyant errer me font comprendre que l’embarcadère est là, devant moi, sur la plage, sans rien qui le signale. Il ne me reste plus qu’à attendre, assis dans le sable au milieu des baigneurs étalés sur leur serviette. Pas de risque de se laisser aller à une petite sieste et de louper le départ, bientôt le bateau arrive dans un flot de musiques assourdissantes qui détonne avec le calme environnant.

Environ 14h, ça y est je suis parti, tarif 1,70 €. A peine trois minutes plus tard on accoste sur l’autre rive, pas le temps de se faire un cinéma genre « croisière aux Caraïbes », de toute façon le niveau sonore à bord interdit toute rêverie ! Au centre ville de Santonia il y a une ambiance festive, c’est samedi et c’est l’heure de l’apéritif, les rues piétonnes sont envahies par des familles entières et des groupes d’amis qui débordent des terrasses des bars dans une joyeuse agitation. Aussi étrange que cela puisse paraître j’aime bien les bains de foule, je prends mon temps, je suis un moment tenté d’y participer, de me fondre dans la mêlée mais je pressens que cela va être une vraie galère pour trouver une place et pour arriver à se faire servir au milieu de cette presse.

14h15 je m’installe dans un square tranquille face à l’Office de Tourisme pour une pause casse-croûte bien méritée. Des enfants jouent autour de moi.

14h30 je quitte la ville, j’ai pris la décision de continuer jusqu’à Güemes à environ 25 km,  je suis en forme, je sens que c’est à ma portée, et ainsi je prendrai du champ par rapport à Christian pour que nous puissions poursuivre notre expérience au moins quelque temps.

A la sortie de Santonia le Chemin longe d’abord une réserve naturelle, atteint un centre pénitencier puis une nouvelle plage. Sur cette section il est assez mal balisé, je ne vois ma première flèche qu’au niveau de la prison, heureusement mon guide joue pleinement son rôle.

15h30 je suis au sommet d’El Brusco un escarpement d’une cinquantaine de mètres qu’il faut franchir pour passer de la plage de Berria, côté Santoña, à celle de Helgueras, côté Noja. La montée est très raide et le sac à dos n’arrange rien mais il est difficile de se prendre pour un grand alpiniste quand on y est doublé par des baigneurs en maillot de bain et tongs qui vont rejoindre l’autre plage qui, je le constaterai bientôt après une descente tout aussi abrupte, est fréquentée par les naturistes !

Me voilà donc redescendu sur la plage qui s’étend à perte de vue. Au loin Noja. Mon livre précise qu’il faut poursuivre ainsi pendant 3,5 km. Des gens dans le plus simple appareil jouent au ballon et me lancent au passage des « Buen Camino » avec le plus grand naturel. Mais malgré tous ces charmes, il faut que je sorte de là, cette marche laborieuse dans le sable va finir par m’épuiser. J’aborde un homme adepte du bronzage intégral qui m’indique le moyen de rejoindre une petite route parallèle. Le goudron peut avoir ses avantages.

Avant Noja j’emprunte un vieux pont romain au-dessus d’un marais qui pue : c’est encore la réserve naturelle pour les oiseaux.

16h30 petit repos à l’ombre de l’église San Pedro de Najo. Là encore le balisage est incertain (ou je ne suis pas doué !). Je demande plusieurs fois mon chemin mais ces gens ne connaissent pas le Camino, je donne les noms des prochaines villes et avance un peu au jugé principalement sur des routes assez fréquentées à cette heure de retour des plages. A Castillo, à un rond-point, je choisis à l’estime une direction pour m’apercevoir bientôt que je suis sur la Ca-141 qui va directement à Santander. Sur la carte schématique en ma possession je vois qu’elle passe à proximité de Bareyo qui est sur le Chemin. J’avoue ne pas avoir le courage de revenir sur mes pas, les jambes commencent à se faire lourdes, je décide de poursuivre malgré la circulation intense. Je n’ai aucune idée de la distance à parcourir, il se peut d’ailleurs que ce soit plus court que par le chemin normal qui lui essaye d’éviter ce genre de situation au prix de quelques kilomètres supplémentaires. En avant, on verra, je finirai bien par arriver.

18h10 je suis devant la collégiale Santa Maria de Bareyo un très bel édifice du 12ème qui comme d’habitude est fermé. Je me détends un moment. Arriver ici fut assez éprouvant avec toutes ces voitures dont on se demande à chaque instant s’il n’y en a pas une qui va dévier de sa trajectoire ou rater un virage. Le bas-côté était assez large mais on se sent obligé d’être constamment sur le qui-vive. Je ne suis plus qu’à 5 km du refuge. « Ça va le faire !».

C’est à environ 19h15 que j’atteins le refuge de Güemes « La cabaña del abuelo Peuto » (La cabanne de grand-papa Peuto), refuge mythique par la qualité de son accueil et le charisme de son hôte, le père Ernesto. En repartant de Bareyo, sentant le but proche, j’étais à la limite de l’euphorie d’autant plus qu’après la grand-route j’avais l’impression de flotter dans un nuage de silence et de bonnes odeurs campagnardes. Mais Güemes est une commune très étendue et une demi-heure après avoir croisé le panneau d’entrée de la localité où je m’étais dit «  J’y suis ! » j’ai commencé à me demander si je m’étais encore une fois perdu d’autant plus que le marquage là aussi était spartiate. Après une aussi longue étape l’idée d’avoir à rebrousser chemin m’a petit à petit envahi et entamé le moral. Pour en avoir le cœur net j’ai demandé mon chemin dans une ferme où, avec un sourire entendu, on m’a répondu que j’étais presque arrivé, je ne dois pas être le premier à perdre confiance si près du but. D’après mon guide j’aurais parcouru 53 km, en prenant la grand-route peut-être en ai-je économisé, allez, bon poids, 5 km mais cela reste mon meilleur « kilométrage » et même si j’ai un peu douté de moi sur la fin je suis en pleine forme.

Dans l’auberge on m’attribue une place dans une chambre à 4 places où je suis tout seul, le grand luxe. Après les ablutions d’usage je rejoins la salle principale où un grand feu flambe dans la cheminée. Autour d’elle je reconnais les trois Françaises rencontrées pour la première fois à Irun et perdues de vue depuis Deba, Anne, Annick et Manuela. Je les croyais loin derrière moi et naïvement je leur demande si elles ont pris un bus. C’est le tollé ! Bon d’accord, je n’ai rien dit et je m’excuse humblement que cette idée purement macho ait pu m’effleurer. En fait elles préfèrent aller dans des pensions, à trois cela ne revient pas trop cher, et elles sont ainsi libérées des contraintes dues aux emplacements ou aux fermetures des auberges pour pèlerins ce qui leur a permis de faire des étapes régulières pendant que je faisais l’accordéon avec certaines étapes minuscules et celle-ci un peu déraisonnable. Tout compte fait c’est moi qui était en retard : rien ne sert de courir… L’essentiel est que nous nous retrouvons avec un réel plaisir. Il y a trois autres Français, un couple et un homme coincé ici depuis plusieurs jours en attendant que ses pieds cicatrisent d’ampoules qu’il a dû faire soigner à l’hôpital. Il y a aussi un Espagnol, Martin, mais ce n’est pas celui rencontré à Meakaur.

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Ce soir le père Ernesto n’a pas pu être présent, il sera là demain. Après le repas copieux et agréable pris en commun dans une ambiance chaleureuse autour d’une grande table un représentant de l’association qui gère le refuge nous expose, en espagnol, leurs objectifs. J’ai compris l’essentiel à savoir que l’auberge n’est qu’une petite partie d’un ensemble plus vaste dédié à la valorisation des ressources locales. J’apprends entre autre qu’ils luttent contre l’invasion de la culture des eucalypyus encouragée pour ses profits rapides mais qui est très gourmande en eau. Il nous présente également le père Ernesto qui apparaît doté d’une énergie phénoménale qui l’a mené aux quatre coins de la terre à la rencontre des autres. Il en a notamment ramené une collection photographique impressionnante qui est conservée ici dans une bibliothèque-photothèque que l’on nous a fait visiter.

En rentrant chez moi après avoir parcouru le Chemin je trouverai un courriel de Maria la Polonaise avec qui j’avais un rendez-vous. Elle était bien en Espagne en même temps que moi mais elle avait oublié son mot de passe pour consulter ses mails ! Elle n’avait donc pas pu prendre connaissance de mes messages. Elle m’apprendra qu’elle a pris le Chemin et s’est arrêtée à Güemes le lendemain du jour où j’y étais, elle y a découvert mon nom sur le registre d’accueil ! Dommage ! Si je n’avais pas fait une aussi longue étape je l’aurais peut-être retrouvée ici, par contre je n’aurais pas revu les Françaises qui arrêtent leur voyage demain à Santander. Hasards du Chemin et de la vie.

Plage de Berria, Santonia
1199 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

2 réflexions au sujet de “Vers Güemes sur le Camino del Norte – Mes Chemins de Compostelle”

  1. Re: Güemes
    53 kilomètres ! Allez Pierre, encore un petit effort… La moyenne de Serge Girard dans son tour de l’Europe en courant était de 74 kilomètres par étape. Tu approches 🙂

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