De Nogaro à Aire-sur-Adour – Chemin de Compostelle

Jeudi 18 septembre,
24e jour : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 995 kilomètres

Aire-sur-Adour
De Nogaro à Aire-sur-Adour
Pause sur le chemin

Environ 7h30, je quitte le gîte « La Fontaine Saint-Jacques » en direction d’Aire-sur-l’Adour à une trentaine de kilomètres. Le jour se lève, le ciel est  couvert, uniforme, sans gros nuages, il fait très doux. Ma jambe est parfaite. J’hésite encore à enlever mon attelle mais depuis deux jours je ne fais plus de séance de glaçons et ce matin je n’ai pas pris d’anti-inflammatoire.

La nuit fut excellente dans mon grand lit. Les deux Belges, eux, n’ont pas très bien dormi à deux dans le même plumard où ils se sont retrouvés faute de place. C’est vrai qu’après une journée de marche les jambes sont parfois un peu douloureuses et un peu agitées : attention aux coups de pieds virils, surtout venant de passionnés de football !

Le chemin

8h je sors de la zone urbaine de Nogaro, pour le moment il n’y a absolument aucun autre marcheur. Quand il y en a ça m’énerve, quand il n’y en a pas ça m’intrigue !

Maison Labarde

Avant mes soucis de cheville j’avais toujours mes deux bâtons, souvent dans une seule main, parallèles  au sol, prêts à servir pour améliorer mon  rythme, ma vitesse, soit sur le plat à la façon d’un skieur de fond, soit dans les montées pour ajouter la puissance des bras à celles des jambes. Après mon petit problème, au départ de Moissac, il n’était plus question de performances. J’en ai conservé un pensant que ça pourrait soulager ma jambe gauche, ce qui fut le cas au début, je m’en servais comme d’une canne. Puis, progressivement, il est revenu parallèle au sol, balancé au rythme de mes bras et hier, à mi-parcours, j’ai fini par le ranger sur le sac. Avec environ 200g de plus sur le dos  j’ai eu l’impression que le sac pesait plus lourd, mais surtout  je ne savais plus quoi faire de mes bras. Donc ce matin j’en ai repris un, je me sens plus à l’aise. C’est la première fois de ma vie que j’utilise cet accessoire et il ne m’avait jamais manqué : on attrape vite des habitudes !

Côté paysage c’est très légèrement vallonné, le chemin est pratiquement plat, même si au départ il y avait quelques vignes c’est le maïs qui domine : maïs, maïs, maïs… Le ciel est gris uniforme. De temps en temps deux ou trois gouttes mais pour le moment pas besoin de s’affoler.

Labours

9h30 peu avant Lanne-Soubiran un groupe de belles maisons en torchis et en bois, la « Maison Labarbe »,  mais avec une très forte odeur de lisier. Je ne m’attarde pas.

En route une ferme avec un élevage de canards, ces canards qui fleurissent pratiquement tous les jours dans nos assiettes et que par ailleurs on voit rarement vivants. Je ne dois pas passer aux bons endroits car ils viennent bien de quelque part.

L’air est chargé d’humidité, mes vêtements sont poisseux.

Je viens de longer un champ de maïs où tout les 4 rangs 2 rangs sont écrasés au sol visiblement par une machine. Je suppose qu’il y a une raison impérative pour détruire ainsi un tiers de la récolte. Une affaire à suivre.

Depuis un petit moment je traverse une forêt, de grandes échelles escaladent de grands chênes. Je suppose que c’est pour les chasseurs. Qui dit forêt, dit bûcherons. Je ferai une pause plus loin.

Lilen, mairie et église

10h15 petit pause loin du vacarme studieux des tronçonneuses. Au loin sur le chemin passe un couple de marcheurs, légèrement courbés vers l’avant pour équilibrer leur sac, leurs bâtons comme des antennes ; ils me font penser à des insectes, des bousiers. Je dois avoir la même tronche, nous sommes les scarabées du chemin de Compostelle, au régime près quand même : je déguste ma pomme.

10h30 je repars, je ne m’attarde pas trop car j’aimerais éviter la pluie. Je me suis arrêté environ un quart d’heure, ce qui équivaut à  parcourir environ 1 kilomètre, et j’ai vu apparaître au loin un marcheur et devant moi quelque part il y a le couple. Donc être ou ne pas être au milieu des randonneurs tient à quelques minutes. En fait on doit être nombreux car hier quand j’ai voulu réserver à Aire-sur-l’Adour je n’ai trouvé de la place qu’au troisième gîte sur la liste. Il est vrai que c’est une ville charnière, beaucoup s’arrêtent ou commencent là.

Vignes

Parfois le chemin longe un rang de vigne dont les grappes sont à portée de main, difficile de résister à la tentation. C’est le rang des pèlerins : tous ceux que j’ai croisés ont avoué en avoir grappillé. Mais on n’abuse pas, c’est juste pour goûter, il n’est pas bon, il est acide. Notre hôte d’hier soir l’a confirmé : ce raisin n’est ni pour la table ni pour faire du vin, il est réservé à l’élaboration de l’armagnac.

Le long de la route beaucoup de maisons ont des murs à colombages. Pour certaines ce ne sont que des parties conservées pour le cachet, le reste est  renforcé ou agrandi avec des matériaux modernes.

Il me revient une anecdote. A Moissac un collègue avait oublié dans la chambre son short et un tee-shirt. L’animatrice à qui je rapportais ces effets m’avait dit : « Si vous saviez ! Il y en a même qui oublient leurs chaussures ! ». En fait, pour ne pas salir les gîtes, il est souvent demandé de se déchausser à l’entrée et de laisser les chaussures dans un local ou un râtelier prévu à cet effet. En repartant certains oublient de repasser par cet endroit et attaquent le chemin avec leurs chaussures de repos. Ceux qui ont des ampoules y pensent d’autant moins que pour une fois ils n’ont pas mal aux pieds. Hier une bonne demi-heure après Condom j’ai vu des femmes déposer leur sac et repartir dans l’autre sens au cri de « Ciel mes chaussures ! » : elles étaient en tennis. J’ai toujours peur d’oublier quelque chose, mon sac contient le minimum, un oubli m’obligerait à retrouver l’équivalent, ce qui ne serait pas toujours possible dans les petites villes traversées.

La pause casse-croûte

En suivant bêtement le couple puis en le dépassant sans faire attention au balisage, persuadé que nous allions dans la même direction, je me suis fourvoyé : eux prennent un raccourci. On leur a dit que la fin du chemin n’était pas intéressante, qu’elle suivait une voie ferrée, donc ils coupent. J’essaye de jouer la règle que je me suis fixée : le GR, le GR, sauf urgence évidemment ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Je reviens donc sur mes pas. Ca m’apprendra à foncer comme un âne.

11h15, cette fantaisie m’a coûté une demi-heure. En plus j’ai failli remonter trop loin le chemin, heureusement l’arrivée d’un groupe a attiré mon attention. Du coup je me retrouve dans le flot de ceux qui sont partis plus tard ce matin. Quand je dis flot, il faut être mesuré, ils sont quatre et je leur dois une fière chandelle car sans eux je partais dans la mauvaise direction. C’est dans ces cas-là qu’une boussole pourrait être utile.

Je me sens beaucoup plus tonique qu’hier à la même heure même si hier il faisait plus chaud ; je pense que c’est surtout dû à l’arrêt de l’anti-inflammatoire.

Colombages et galets

Midi moins le quart, je viens de traverser le minuscule village de Lelin où la mairie est une espèce d’abside de l’église. Sur cette partie du chemin le GR à l’air d’avoir été pas mal remanié. Son tracé ne correspond absolument pas à celui annoncé par le guide et il est parfois difficile de savoir exactement où je suis car souvent, quand il ne s’agit que de quelques maisons, il n’y a pas de panneau indicateur.

Le paysage n’est pas du tout désagréable mais c’est un peu toujours la même chose. En ce moment ce sont des vignes, assez hautes d’ailleurs. Il me semble que dans le bordelais, que je fréquente régulièrement,  elles sont beaucoup plus basses mais mon sens de l’observation est bien connu, un peu déficient.

12h15 pause casse-croûte. En général je m’écarte le plus possible du bord du chemin car souvent ses abords immédiats ont été fréquentés par des gens incultes qui n’ont pas pris le temps de lire « Comment chier dans les bois : Pour une approche environnementale d’un art perdu  », ouvrage incontournable que m’a offert Hélène avant mon départ. J’ai choisi de m’installer sous un bel arbre entre un champ de maïs et un champ qui vient d’être ensemencé (ne me demandez pas de quoi, je suis totalement ignare en cette matière). Ce n’est pas tant que son ombre soit nécessaire mais j’aime bien m’appuyer contre un arbre, cela repose mon dos.

Aire-sur-l`Adour, l`Adour

13h20 fin de la pause, j’ai pris mon temps. J’ai décidé de faire un essai de marche sans attelle,  on est en plaine il ne devrait pas y avoir trop de déclivités. Si ça tire un peu je la remets. Il reste peut-être une dizaine de bornes.

Depuis quelques minutes je longe une voie de chemin de fer, sans doute celle qui inquiétait les gens qui prenaient le raccourci. En fait c’est une ligne tout à fait secondaire et il ne doit pas passer grand-chose. Au contraire, pour une remise en forme de ma jambe c’est idéal. C’est un chemin de campagne, donc pas parfaitement nivelé et ma cheville est un peu sollicitée, mais par contre c’est quasiment plat donc pas d’effort violent.

En route je retrouve les deux Belges d’hier soir, Herman et Wim. Ils sont en grande discussion avec des Sud-Africaines. Ils arrivent à se comprendre, elles parlant l’afrikaans, d’origine hollandaise, et eux le hollandais moderne. Ils font le Chemin pour la parlotte et les rencontres. La parlotte j’aime ça aussi tous comptes faits, mais pour marcher ensemble une expérience m’a suffit. Je repars seul. A chacun son Chemin.

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14h30 j’ai remis mon attelle. Tout va bien mais une heure pour un début c’est peut-être suffisant. Il faut reconnaître que c’est beaucoup plus confortable avec l’attelle tout au moins au niveau psychologique car au moindre tiraillement je serre les fesses.

Le cirque sur les rives de l`Adour

15h Barcelonne-du-Gers. On trouve des maisons à colombages mais aussi des maisons en galets comme on peut en voir dans la Drôme.

15h30 je viens de traverser l’Adour. On arrive à Aire-sur-l’Adour par la nationale en traversant une grande zone industrielle, ce n’est pas spécialement folichon mais c’est la variété du Chemin. Adolescent, quand j’allais au ski depuis Bordeaux ou au retour, le car qui nous transportait s’arrêtait sur un grand emplacement sur les rives de l’Adour. Actuellement le cirque Fratellini utilise cette place : on y voit des chameaux et d’autres animaux exotiques qui intriguent beaucoup des petits qui sont là en troupeaux à regarder ce qui se passe.

Il faut que je trouve la cathédrale, les explications données par téléphone pour trouver le gîte partent de là. Il y a un dôme là-bas ce doit être elle.

Me voilà dans la cathédrale qui est malheureusement en pleine restauration. Une partie des peintures, genre Moissac, a déjà été refaite, elles sont éclatantes. Le reste est très sombre et assez décrépi. Il y en avait sans doute un grand besoin.

Restauration de la cathédrale - Aire-sur-l`Adour

En fait d’Aire-sur-l’Adour je ne connaissais que le parking sur les bords de la rivière, je n’avais jamais eu l’occasion d’entrer vraiment dans la ville. Je ne savais même pas qu’il y avait une cathédrale. Le centre ville, la partie ancienne, n’est pas très grand mais agréable à parcourir.

Sur le chemin du gîte je croise Jackie. Elle est au même gîte que moi et part faire des courses. Elle veut se cuisiner des filets de poissons. C’est vrai que le poisson est souvent absent des menus. Pour ma part j’ai prévu le restaurant.

16h15 je suis installé dans le gîte, «l’Hospitalet Saint-Jacques » dans la chambre Saint-Antoine avec 2 dames, Jackie, que je viens de croiser en ville, et Delphine. En fait Delphine devant prendre un train très tôt le matin c’est Catherine, une Québécoise, qui la remplace pour ne pas nous réveiller. Je l’avais déjà rencontrée à Lectoure avec Jacques qui avait un problème de genoux. Elle m’apprend qu’il est resté là-bas en attendant d’aller mieux.

La chambre est très agréable, impeccable. Les lits sont individuels (je veux dire non-superposés) et larges. Tout est prévu : lampe individuelle, prise individuelle pour recharger portable ou appareil photo. Cerise sur le gâteau on a une vue sur un beau jardin. Les hôtes ont fait le pèlerinage plusieurs fois (huit fois !) et ils ont ouvert cette maison hospitalière pour les pèlerins. L’accueil est très chaleureux, plein d’attentions, il y a une ambiance religieuse qui ne me pèse pas.

L`Adour

Je retrouve plein de gens déjà rencontrés notamment au Domaine du possible. C’est toujours le dilemme, continuer au même rythme et retrouver la chaleur des connaissances ou essayer d’accélérer et il faudra alors faire l’effort de renouer des liens.

20h30 je sors de la pizzeria faute d’autre choix. J’y ai retrouvé Monique, on s’était un petit peu colletés à Castet-Arrouy sur le sujet « Il faut écouter son corps ». Ce soir la soirée est très agréable et sans aucune tension. Elle m’apprend  qu’elle donne des cours de chi-gong, ce qui explique peut-être certaines de ses thèses. Elle loge au camping car il n’y avait plus de place ailleurs, elle y a retrouvé les Belges. On se sépare grands amis, elle me demande d’avoir une pensée pour elle  quand je serai à Saint-Jacques-de-Compostelle: ce sera fait.

De retour au gîte j’apprends qu’ils m’attendaient tous pour partager le repas qu’ils avaient préparé. Dommage, je n’avais pas compris et puis je ne veux pas jouer les pique-assiettes. Il faudra peut-être que je me mette à la cuisine, j’entends souvent des échos chaleureux de ces repas communautaires.

Pour demain j’ai réservé au Centre d’Accueil communal d’Arzacq-Arraziguet à environ 33km.

Pause sur le chemin
586 kilomètres parcourus depuis le Puy-en-Velay

 

6 réflexions au sujet de “De Nogaro à Aire-sur-Adour – Chemin de Compostelle”

  1. Maïs écrasé
    Le maïs dont vous parlez est du maïs semences. les deux rangs écrasés sont les mâles qui ont servi à féconder les 4 rangs femelles. Ces rangs femelles sont castrés (on enlève la fleur se trouvant au sommet de la plante (manuellement ou mécaniquement).
    Bien cordialement, et félicitations pour votre site.
    Je suis agriculteur sur la commune de Marsolan et j’ai retrouvé des images de mes champs !

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  2. Re: Aire-sur-Adour
    Les lits sont individuels (je veux dire non-superposés)… Les hôtes ont fait le pèlerinage plusieurs fois (huit fois !) >>> :o) et gros soupir…

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  3. Dilemme
    Le premier dilemme est de trier parmi les détails et anecdotes car la plus part sont vraiment anodins mais j’espère que l’ensemble permet d’emmener le lecteur à mes côtés. Ce jour là j’étais plus tonique et peut-être plus bavard :).
    Pour ce qui est du choix entre convivialité et performance, je ne parlerai pas de « grand » dilemme. C’est plutôt un choix de chemin. Il se fait aussi naturellement en fonction des affinités avec les gens rencontrés.

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  4. Re: Aire-sur-Adour
    Etape « longue » par l’écriture, pleine de détails et anecdotes. Un régal. J’ai presque l’impression de faire partie des pélerins sur le chemin (avec le mal aux pattes en moins, bien entendu).
    Ai-je bien compris ? Le grand dilemne, c’est devoir choisir entre la performance et la convivialité ?

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