Vers Sorigny sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle

Jeudi 27 août,
9e étape : Saint-Jacques-de-Compostelle est à 1543 kilomètres

Sorigny
De Tours à Sorigny

.Nous quittons l’Auberge de Jeunesse un peu avant 8 heures et nous retraversons la vieille ville en direction de la cathédrale pour rejoindre le Chemin ; l’ambiance estivale d’hier soir a disparu ainsi que le grand ciel bleu ; les placettes sont désertes, chaises et tables sont empilées sur les terrasses des bistrots et restaurants pour laisser le passage aux véhicules de nettoyage et de ramassage des poubelles.

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Cette journée me réserve une petite surprise pour mon retour. Afin de réduire le nombre de fichiers sur mon dictaphone j’avais pris l’habitude de me mettre en « pause » entre deux prises de son. Aujourd’hui par inadvertance j’ai probablement appuyé deux fois de suite sur cette touche et quand je pensais enregistrer j’étais en fait à l’arrêt et inversement : plus de 6 heures d’enregistrement « en creux » ! Tout y est : les préparatifs pour le départ agrémentés de quelques jurons à l’encontre des objets récalcitrants, le grincement de la porte de la chambre, les arrêts pipi, le passage des camions, les bruits de pas accompagnés par les couinements de mon sac à dos et bien sûr toutes nos élucubrations (pardon, nos débats métaphysiques !) à Claude et à moi. Par moment avec les pavés de la vieille ville je me croirais dans un vieux film, comme si Gabin ou Lino Ventura allaient surgir devant moi dans une Traction Avant. En fait rien que du vivant. J’ai ainsi découvert que je sifflotais souvent, ce dont je n’étais pas conscient.

Je vous livre un pot-pourri de ces fragments sonores saisis lors de la sortie de la ville : il est 8 heures Tours s’éveille, passage d’une valise à roulettes sur les pavés, ouvriers au travail, camions, mobylette, … sifflotements dans le calme presque retrouvé.

Après un petit détour pour passer devant les restes de la basilique Saint-Martin nous rejoignons l’avenue de Grammont, le nom local et citadin de la N10.

Le passage à proximité de l’Hôtel de ville fait surgir une foule de souvenirs. Dans les années 50 nous y étions venu en famille pour une exposition sur des robots ; cet avant-goût d’un futur extraordinaire m’avait tellement enthousiasmé qu’il devint mon projet professionnel, enfin c’est un bien grand mot : j’avais 10 ans ! Dans le même quartier nous étions venu rendre visite à une baleine qui circulait de ville en ville. Si elle m’avait elle aussi fait une forte impression visuelle et olfactive aucune vocation n’en avait suivi. A cette époque j’étais donc pensionnaire au Lycée Descartes. Tous les jeudis ma mère venait m’extraire de cet « enfer » pour me plonger dans d’autres : chez le dentiste pour régler un appareil dentaire dont l’efficacité reste encore à démontrer, puis, le pire, gymnastique « corrective » pour enrayer un début de scoliose, là aussi sans grand succès. Bref si on y ajoute mes lunettes j’avais tout du vilain petit canard. Pour compenser toutes ces tortures j’avais à chaque fois droit à un gâteau acheté à la sortie du dentiste sur l’avenue de Grammont précisément, toujours le même, un pudding, ma madeleine à moi. Je me demande encore ce qui m’attirait dans cette pâtisserie, un amour de jeunesse qui n’aura pas survécu. Puis c’était la bibliothèque, toujours pour le plaisir que ce soit pour dévorer un nouveau livre ou pour des « recherches » en vue d’un quelconque exposé. Quelques fois c’était même, suprême récompense, le cinéma. J’ai ainsi vu « Le monde du silence » avec Jojo le mérou et « Guerre et Paix » où la scène de roulette russe du début est restée gravée dans mes rétines. Les souvenirs c’est comme les vieux pull-overs qu’on détricotait pour en faire des écheveaux : plus on tire sur le fil plus il en vient. Un petit dernier sur cet avenue : à cet époque nous n’avions pas de voiture et mon père circulait en Solex depuis Joué-lès-Tours où nous habitions jusqu’au centre ville où il travaillait. Quand je suis entré en sixième je faisais le trajet avec lui assis à l’arrière sur le porte-bagage. L’hiver a déclenché ma mise en pension !

Claude se sent en forme et a bien récupéré de sa première étape. Pour le moment nous n’avons rien réservé ; nous aviserons en route.

Le Chemin sort de la ville en suivant la Nationale dans une ambiance très urbaine au milieu de la circulation de cette heure de pointe. Emporté par mon élan à vouloir fuir le bruit, je dépasse la sortie vers le chemin de halage le long du Cher. Nous revenons sur nos pas et profitons du sentier qui longe la rive sous les saules : un havre de calme même si quelques trains nous font un brin de conduite.

L’entracte était de courte durée nous revoici sur la route à l’entrée de Saint-Avertin mais le trafic est désormais très supportable. Il fait moite.

Au niveau de l’église un poteau arbore un magnifique signe qui nous indique la direction du Chemin. Nous le suivons mais bientôt plus rien. Les rues indiquées par notre guide ne correspondent pas à celles que nous empruntons ou que nous croisons. Nous nous sommes égarés. Seule indication nous devons rejoindre un supermarché ATAC. Les rues sont désertes, nous envisageons d’aller sonner à une porte quand apparaît un passant. En gros c’est tout droit, il ne fallait pas désespérer. Il nous fait remarquer que cette enseigne a changé de nom. C’est vrai, mais la mémoire est têtue et s’acharne à entretenir les vieilles habitudes.

10h20 nous voici au désormais SIMPLY. Claude à envie de quelques fruits. Dedans il fait un froid de canard je préfère l’attendre dehors en gardant nos sacs … que je dois subitement déplacer lorsqu’une cliente vient attacher son chien à proximité : ce serait dommage qu’il les inclue dans son territoire. Un couple avec un enfant sort du magasin, ils sont en pleine scène de ménage et la femme lance à son compagnon des « baise tes morts »  « suce tes morts », « vous aller manger vos morts » … Je n’avais jamais entendu des insultes aussi étranges et aussi violentes. Peut-être que ce sont des gitans. Même sur le parking d’un supermarché on peut découvrir d’autres mondes.

Montbazon est à environ 8 km, on devrait pouvoir y être pour le repas de midi. Je convaincs Claude qu’il serait plus prudent de réserver dès maintenant notre chambre de ce soir. Il voudrait que l’aventure soit complète. Pour ma part c’est comme en musique, improviser oui, mais sur une grille connue. L’Auberge de la Mairie à Sorigny, 6km après Montbazon, fait des prix spécial pèlerins, 29 euros chambre, repas et petit déjeuner compris ; elle nous garde une chambre double et il est possible d’arriver jusqu’à 20h30 heure limite pour le repas. Voilà un problème réglé, nous pouvons prendre notre temps et je vais pouvoir nous égarer encore deux ou trois fois ! Ça sent la pluie.

En route Claude trouve des mûres. Je n’en suis pas très friand mais il me donne des regrets en affirmant qu’elles étaient délicieuses. Je ne vais quand même pas retourner en arrière ! En voilà d’autres, je me laisse tenter. Malgré leur belle teinte noire elles sont âpres : « tu vois j’avais raison ça ne vaut pas le coup ». Bon d’accord, je dois manquer d’entraînement je n’ai pas l’oeil expert du gourmand.

12h15 nous voilà à Montbazon. Nous nous arrêtons dans le premier restaurant à l’entrée de la ville même s’il est près de la route et un peu bruyant à mon goût. Nous choisissons une formule rapide à moins de 10 euros avec une cassolette au fromage de chèvre : autant déguster des spécialités régionales.

Après le repas nous partons visiter Montbazon. Il fait chaud sous une alternance de nuages et de petits soleils, plus de pluie en vue. L’église est intéressante avec son plafond en coque de navire renversée ; des vitraux et des peintures murales vives lui donnent un petit air d’église orthodoxe. Claude ne peut pas résister à la visite du donjon dominé par une gigantesque Vierge à l’enfant. Il a sans doute fallu beaucoup d’efforts pour mettre en valeur les derniers vestiges du château de Foulques Nerra, le terrible Comte d’Anjou, mais ce n’est pas suffisant pour que je me sente plongé dans l’ambiance de ces temps difficiles. Je suis déçu.

Après plus d’une heure et demie à déambuler dans la ville nous repartons en longeant la N10 très fréquentée jusqu’à rejoindre un petit chemin de pierre beaucoup plus agréable.

16h15 nous sommes à l’hôtel à Sorigny. Il fait très beau. Dans la chambre il y a bien deux lits comme annoncé mais l’un est à deux places et l’autre petit. Après tirage à pile ou face je gagne le droit de m’étaler dans le plus grand.

Au bar de l’hôtel nous rencontrons un pèlerin Québécois, Christian, en train de rédiger son carnet de route tout en buvant un verre de vin, « mon anti-inflammatoire » nous dit-il. Il arrive de Paris et compte aller jusqu’à Saint-Jacques en passant par le Camino Norte, il a envie de suivre la mer, mais il se réserve la possibilité de changer d’avis et de passer par Saint-Jean-Pied-de-Port ; il a tout son temps. Ça « me fait » un pèlerin au long cours de plus, j’en suis à deux avec le Belge.

Avec la chaleur des premiers jours, pendant la traversée de la Beauce, ses pieds ont gonflé et pratiquement chaque orteil a son ampoule. Il nous les montre : ils sont complètement limés, comme rabotés. Il souffre le martyre, d’où son automédication vinicole, et voudrait se procurer des chaussures plus grandes. Nous réalisons qu’hier à Tours c’est lui qui demandait l’adresse d’un magasin de sport à l’accueil de l’Auberge de Jeunesse.

Il a récemment perdu sa femme. En tant que militaire il avait la possibilité de prendre sa retraite dès maintenant. Il l’a fait, il ne pouvait pas envisager que la vie continue comme avant, comme si de rien n’était. Je le comprends. Il se donne le temps du Chemin pour réfléchir à ce qu’il va faire de cette liberté inattendue, de cette nouvelle vie à construire.

Nous passons un long moment agréable à échanger nos impressions sur le chemin déjà parcouru. Depuis Orléans nous suivons les mêmes étapes aux mêmes jours sans s’être jamais rencontrés ! Il a lui aussi fait la connaissance du Belge et apparemment il a eu un bien meilleur contact. Il m’apprend qu’il s’appelle Paul, ou plutôt il précise Paule ce qui me surprend un peu mais après tout je n’y étais pas, et que c’est un ancien consultant en informatique ou quelque chose dans ce genre. Je m’étais imaginé qu’il s’agissait d’un prêtre !

Christian tient un blog de son voyage. A chaque étape il essaye d’avoir un point d’accès à Internet pour le mettre à jour. J’ai un moment envisagé de faire la même chose mais je n’ai pas voulu me mettre cette contrainte sur le dos surtout que je suis un peu perfectionniste, que j’aime bien prendre le temps de rédiger et de choisir les photos.

Le soir repas à l’hôtel, le menu est agréable, peut-être un peu juste pour notre appétit de marcheur. Mais nos hôtes sont très accueillants et très serviables ceci compense largement cela.

Demain nous ferons probablement étape à Sainte-Maure-de-Touraine à environ 20 km, « probablement » car pour le moment tous les points de chute que nous avons contactés sont complets, hors de prix ou ne répondent pas, il faut dire que nous serons vendredi, veille du week-end. Demain, il fera jour, Claude est comblé, c’est l’aventure.

278 kilomètres parcourus depuis Auffargis

 

11 réflexions au sujet de “Vers Sorigny sur la voie de Tours – Mes Chemins de Compostelle”

  1. Blog
    Salutations de nouveau,
    Est-il possible d’avoir l’adresse de ce fameux blog (celui de Christian?) … Ces temps-ci je dévore les témoignages de ceux qui ont pris le temps de les publier, c’est vrai que c’est exaltant et puis ça me fait revivre aussi mon propre chemin…
    En tous les cas, Pierre, félicitations (bis) pour la qualité de votre récit !

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  2. Une question de jours
    Jocelyn, ça n’est qu’une question de jours. Comme chez quelqu’un qui m’est proche, le virus semble avoir lourdement et durablement frappé, le prochain départ est très certainement déjà organisé !

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  3. Re: Sorigny
    Ouf, je croyais que tu avais abandonné pour un temps le récit de ton périple.
    Je crains que la « …liberté inattendue » t’apporte quelques commentaires -:)
    Courage !

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  4. Tu t’y es remis…
    Encore 7 étapes avant St Jean D’Angély. J’ai hâte de savoir comment tu as traversé les Landes,ces longues lignes droites interminable…
    J’ai fait un tour sur le blog de Christian, un régal. En le lisant j’entends son accent québécois.As tu gardé contact avec lui?
    Continue à écrire Pierre. Je regrette pour ma part de n’avoir pas pris suffisamment de notes. Je pense pourtant avoir retenu l’essentiel.
    A bientôt…
    C’est fou comme on se comprend entre pèlerin!!
    Irène

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